Campement Terre Libre: Les peuples indigènes poursuivent leur résistance


La 18ème édition du Campement Terre Libre est en cours depuis le 4 avril 2022 à Brasilia pour lutter contre la politique économique, sociale et environnementale du gouvernement brésilien. Ce vendredi 8 avril et samedi 9 avril, les populations indigènes se sont jointes aux manifestations de plusieurs villes du pays, pour demander la démission du président Jair Bolsonaro et clamer leurs revendications, notamment celles pour les femmes.


Marche des peuples indigènes le 9 avril 2022 à Brasilia en marge du Camp Terre Libre. 

 © Photo tirée du compte Facebook de l’APIB. CC BY-SA 2.0

Considéré comme la plus grande mobilisation indigène du Brésil, le Campement Terre Libre se poursuit jusqu’au 14 avril 2022 à Brasilia avec pour thème “Reprendre le Brésil”.  Les vendredi 8 et samedi 9 avril, les peuples indigènes se sont joints à une marche entre le Congrès et la Cour suprême de la ville, organisée par la population brésilienne dans le but de protester contre les projets qui menacent leurs droits fondamentaux et réclamer la démission du président Jair Bolsonaro.

 

Une mobilisation sans précédent  pour appeler Jair Bolsonaro à démissionner

“Le Brésil est à nous ! Il n’appartient ni à Bolsonaro, ni aux politiciens corrompus” lancent près de 8000 indigènes rassemblés autour de la capitale à l’occasion du 18ème Campement Terre Libre, en protestation contre l’exploitation  de leurs terres par le gouvernement d’extrême-droite. En effet, à six mois de la présidentielle brésilienne, Bolsonaro a montré sa détermination à faire passer le plus grand nombre possible de lois favorables aux intérêts des agro-industriels. L’urgence, pour les peuples indigènes, est désormais d’empêcher l’adoption imminente du projet de loi 191/2020, qui autoriserait l’exploitation des ressources naturelles dans les territoires autochtones. 

Depuis trois ans, ce gouvernement a drastiquement réduit les budgets et les attributions des institutions comme la Fondation Nationale de l’Indien (FUNAI) et l’IBAMA, l’organisme de protection environnementale. Les invasions illégales de territoires indigènes ont ainsi augmenté de 137% lors des deux premières années de son mandat et la déforestation s’est accélérée en atteignant plus de 13 000 km2 l’an dernier. Un record depuis quinze ans. 

 

Depuis plus d’une semaine , des représentants de 172 ethnies différentes se rassemblent à Brasilia pour présenter diverses danses traditionnelles hautes en couleur, et mener des assemblées plénières revendiquant la reprise de la délimitation de leurs terres, totalement paralysée depuis 2019. 

Samedi 9 avril 2022, ils se sont joints à la manifestation du peuple brésilien qui veut montrer son insatisfaction envers la politique économique du pays, responsable de la famine, du chômage et de la misère. À l’aide de ballons en forme de bouteille de gaz et de crâne, symbolisant les prix élevés et l’utilisation de pesticides, et d’affiches clamant “Dehors Bolsonaro” ou “Plus Jamais Bolsonaro”, ils ont ainsi condamné la corruption, la flambée de l’inflation, la diminution des salaires et celle du pouvoir d’achat. Sur l’esplanade des Ministères de Brasilia, des dirigeants syndicaux, sociaux, et indigènes ont tenu une marche du Musée de la République, jusqu’à la pelouse du Congrès national et ont brandi des affiches et peintures symbolisant le mot “génocide”. 

Dans la capitale fédérale, 70% de la population a voté pour le président en place en 2018 et Sônia Guajajara, coordinatrice de l’Articulation des Peuples Indigènes du Brésil, recommande néanmoins aux participants de ne pas trop s’éloigner du campement : “Soyez prudents ! Ici, ils ne nous aiment pas. Il est déjà arrivé que des frères se fassent agresser lors des éditions précédentes”, affirme-t-elle en rappelant que le racisme envers les cultures indigènes est bien  ancré  dans la société brésilienne. 

Assise en tailleur aux côtés d’autres représentants des populations d’Amazonie, Camila, une jeune indigène de la tribu Puruborá a tenu à faire entendre les souffrances de son peuple: “À partir des années 1990, ce sont les grandes exploitations de bovins qui se sont installés, et depuis dix ans, la culture du soja est arrivée en force. Aujourd’hui, il ne reste presque plus de forêt et la rivière qui traversait notre territoire est à sec”, se lamente-elle. Les mots de la jeune femme ont attiré l’attention de Marina Silva, ancienne ministre de l’Environnement du président sortant Lula, que l’ensemble des populations indigènes semble soutenir car il serait le seul à pouvoir déloger Jair Bolsonaro : 

 

“Le principal est d’apprendre des erreurs du passé et de faire en sorte que le gouvernement s’engage sur les questions environnementales. Nous savons qu’il est possible de faire machine arrière. À l’époque où j’étais ministre, nous avons réussi à réduire la déforestation de 83% en dix ans.”

 

Préserver les territoires indigènes pour mieux lutter contre le réchauffement climatique

Alors que Jair Bolsonaro parcourt tout le pays en campagne électorale, dépensant des sommes d’argent public colossales au lieu d’élaborer une politique pour résoudre la crise environnementale, le chômage et l’inflation, la présence des peuples indigènes à la 18ème édition du  Campement Terre Libre a également pour but d’alerter l’opinion mondiale. “Cela n’a pas de sens de vouloir protéger l’environnement sans lutter pour la défense de nos droits et de nos territoires, sans penser aux droits sociaux et culturels de ceux qui le protègent tous les jours. Nous sommes les gardiens de la forêt.”, déclare Sônia Guajajara en écho au dernier rapport du GIEC rappelant la valeur inestimable des terres ancestrales indigènes dans la lutte contre le réchauffement climatique. 

“La faim, la mort et la corruption sont entre vos mains. Acceptez la destitution !” clament les affiches lors de la manifestation contre le projet 191/2020. Selon Joênia Wapichana, première femme indigène avocate du Brésil et lauréate du prix des droits de l’homme des Nations Unies, cette loi est “totalement contraire à l’interet pulic, n’affecte que la vie des plus faibles des plus vulnérables, des peuples indigènes et de ceux qui défendent l’environnement”. Elle considère que le gouvernement de Bolsonaro privilégie les projets qui “ne correspondent pas à la réalité de la société brésilienne”. D’autres leaders indigènes sont également de cet avis, comme le chef de la tribu Kayapo, Doto Takak Ire, de la terre indigène Menkragnoti dans les États de Mato Grosso et Pará qui a déclaré samedi 9 avril :

 

 “C’est un procès criminel. Nous allons devoir aller à la Cour suprême, lui demander de bloquer cette loi qui veut détruire notre avenir, notre rêve”. C’est pourquoi il défend l’importance du Campement Terre Libre dans ce combat : “Nous sommes réunis ici pour aider les parents qui ont besoin d’une terre et d’une forêt pour survivre. Je demande aux parents indigènes et non indigènes d’aider à renforcer notre lutte.”

 

Les peuples indigènes espèrent ainsi que leur mobilisation sera fructueuse et que leurs voix seront entendues par la société brésilienne lors des élections présidentielles qui se tiendront en octobre prochain. 

 

Les femmes indigènes s’engagent face au machisme

Manifestation des femmes le 8 avril 2022 à Brasilia en marge du Campement Terre Libre.
© Photo tirée du compte Facebook de l’APIB. CC BY-SA 2.0

 

En marge des revendications environnementales et sociales menées par les peuples indigènes lors du Campement Terre Libre, un autre thème essentiel a été discuté : celui de la place de la femme dans la société. En effet, des femmes autochtones de tous le pays ont été le centre de l’attention vendredi 8 avril, en dénonçant lors des sessions plénières, le machisme qui règne au sein de leurs territoires. Avec le thème “Nos Voix Ancestrales Reprennent le Brésil : Délimiter les Territoires et Investir la Politique”, elles ont partagé, sur la scène principale du camp, leurs expériences, leur lutte du quotidien et l’ambition d’atteindre la sphère politique institutionnelle brésilienne. Dès l’ouverture de la session, Sônia Guajajara a encouragé les femmes présentes sur le camp : 

 

“Le temps où les femmes indigènes avaient un rôle secondaire est désormais révolu. Aujourd’hui les femmes sont présentes dans de nombreux espaces, de participation, de contrôle social, dans les universités, les femmes professionnelles, les femmes cadres et les femmes parlementaires. Nous pouvons participer et construire un Brésil qui nous convient à toutes. Nous sommes nombreuses et diverses. Nous sommes ici au nom de celles qui nous ont précédés et de celles qui viendront. Nous ne pouvons plus être violées et assassinées. Nous voulons renforcer cette lutte au-delà du village, afin de construire des politiques spécifiques adaptées à nos réalités. Se battre pour le droit n’est pas demander une faveur, parce que le droit ne se remercie pas, le droit s’exécute.”

 

Inspirée par son père, Samira Xavante, du peuple Xavante situé dans le Mato Grosso, s’est rendue à Brasilia afin de défendre son peuple, et en particulier les femmes des générations futures, critiquant les projets mis en oeuvre par le gouvernement en place :

 

“Avant de mourir, mon père m’avait dit: “Ce n’est pas parce que tu es une femme que tu ne pourras pas te battre pour ton peuple. Tu es ma fille aînée, poursuit ce combat, car un jour je ne serai plus là”. Et aujourd’hui je suis ici, poursuivant cet héritage. Ce n’est pas facile pour nous, les femmes indigènes. Beaucoup pensent que nous devrions simplement accomplir des tâches de base, mais nous sommes bien plus que cela. Nous sommes ici pour reconquérir nos espaces. Nous devons désormais penser à l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants. L’agro-industrie arrive et nous menace. Mais nous ne le permettrons pas. Nous voulons préserver notre culture, ainsi que la lutte de nos ancêtres qui ont ouvert la voie pour que nous puissions être ici aujourd’hui.”

 

Luisa Canuto, du peuple Tabajara situé dans l’État du Ceará, a rappelé les dangers préoccupants du machisme : “Nous oublions qu’il existe une chose plus cruelle, plus mortelle que le cancer, plus que la guerre entre l’Ukraine et la Russie. C’est le sexisme. Nous devons le bannir de nos territoires. Nous réclamons notre liberté !”

La future représentante Xacriabá au Congrès national de l’État de Minas Gerais a estimé que les peuples indigènes, même s’ils ne représentent que 5% de la population, prennent soin de 83% de la biodiversité mondiale et qu’il ne faut en aucun cas minimiser le rôle des femmes dans ce processus. Selon elle, il est temps de combattre à la fois le racisme et le sexisme institutionnel en occupant une place plus importante au sein de la société brésilienne :

 

“Nous nous préparons au combat, je me suis préparé avec mon peuple sur le sol de mon territoire. Nous sommes mieux préparées car ce n’est pas nous qui avons du sang ou de la boue sur les mains.  La première personne que le gouvernement de Bolsonaro a attaqué était une femme, et la femme représente la terre. Et lorsqu’ils attaquent la terre, ils nous attaquent tous.”

 

Porté par le slogan “Dehors Bolsonaro !”, le Campement Terre Libre propose jusqu’au 14 avril 2022, des activités autour de sujets divers en lien avec cette cause, comme la nécessité d’investir durablement dans la politique, l’urgence climatique, la défense des peuples isolés, le pouvoir des femmes et de la jeunesse, l’inclusion dans le système éducatif et la diversité au sein d’un mouvement qui prend chaque année plus d’ampleur. 

 

Sources:

Amazônia : “Dia de luta: Acampamento Terra Livre se une aos atos contra o Bolsonaro”

TVCOMDF : Brasileiros protestam contra carestia e corrupção. Indígenas lutam por demarcação de suas terras”

Brasil de Fato : “Indígenas de todo o Brasil ocupam Brasília em defensa de seus direitos e territórios”

Racismo Ambiental : Emoção e força: mulheres indígenas compartilham suas vivências e projetam aldear a politica”

 

À lire aussi sur le site de Planète Amazone : 

Les peuples indigènes brésiliens se préparent pour le Campement Terre Libre 2022

Campement Terre Libre: Une lettre ouverte contre le projet de loi (PL) 191/2020

Bolsonaro : roi de la politique écocidaire et anti-indigène

 


Article rédigé par Anthony Cicion



Mis a jour le 2024-03-23 14:49:41

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