Le 5 avril dernier, la cérémonie d’intronisation d’Ailton Krenak à l’Académie de lettres (ABL), à Rio de Janeiro, avait un goût de… jamais vu. Tranchant avec le protocole habituel, un tantinet rigide, qui prévaut dans cette institution vénérable fondée en 1897 sur le modèle de l’Académie française, A. Krenak, élu en octobre 2023, a fait son entrée dans le temple de la culture lusophone, accompagné de chants indigènes et en présence de danseurs aux coiffes de plumes. Il a fallu composer aussi avec la malice et le plaisir non dissimulé du célèbre écrivain plaisantant au sujet de son « nouvel accoutrement distingué », un habit vert foncé aux broderies dorées qu’il avait agrémenté d’un bandeau indigène cernant son front. « On va faire un peu de bruit pour troubler ce silence centenaire », s’est amusé le philosophe auprès de FranceTVinfo.
Une réparation historique
D’emblée, le ton était donné et son message appuyé, celui que A. Krenak porte haut et fort depuis près de quarante ans. Fidèle à ses combats, s’il a célébré dans son discours d’intronisation cette victoire historique, il n’a pas manqué en effet de rappeler les cinq siècles de souffrances des peuples indigènes depuis l’arrivée des colonisateurs européens et au sujet desquels il juge les premières excuses officielles du gouvernement brésilien insuffisantes : « Demander pardon après coup ne signifie pas grand-chose […]. La vraie réparation, c’est à travers des actes. »
Les souffrances de son peuple ont inspiré son œuvre
Krenak a toujours manié les mots comme une arme. Parmi ses huit livres publiés, les plus connus, Idées pour retarder la fin du monde (2019) et Demain n’est pas à vendre (2020) sont en effet des critiques virulentes du système capitaliste et du colonialisme, dont A. Krenak a pu mesurer les effets délétères sur ses propres terres situées dans l’État de Minas Gerais (Sud-Est), celles du peuple krenak (qu’il utilise comme patronyme) et de la rivière Rio Doce, quand en 2015, la rupture d’un barrage de retenue de minerais de l’entreprise Samarco provoque l’une des plus grandes catastrophes socio-environnementales jamais enregistrées au Brésil. Des terres indigènes brésiliennes qu’il a toujours défendues en participant notamment à la rédaction d’un article de la Constitution brésilienne de 1988 pour garantir aux populations indigènes le droit d’occuper leurs terres ancestrales délimitées par l’État, mais qui reste à ce jour aléatoirement appliqué.
Espérons que le fauteuil numéro 5, laissé vacant par José Murilo de Carvalho qu’occupe désormais Ailton Krenak, l’immortel, signera aussi l’immortalité des terres, de la culture et des peuples indigènes.
Pour aller plus loin :
Notre film “Terra Libre” : https://shop.planeteamazone.org/index.php
Le second épisode de notre web série “Protégeons l’Amazonie”: https://vimeo.com/522891467
À lire également :
La démarcation : une nécessité pour la survie des peuples indigènes et la protection de la nature
Sources :
Natives : Ailton Krenak : premier écrivain indigène élu à l’Académie brésilienne des lettres.
FranceTVinfo : Ailton Krenak, premier écrivain indigène élu à l’Académie brésilienne des lettres, veut retarder la fin du monde.
La Croix : Le premier membre indigène de l’Académie brésilienne des Lettres intronisé.
Le Monde : Au Brésil, les excuses présentées aux peuples indigènes n’arrêteront pas la crise humanitaire en cours.
Article rédigé par Martine de Gainza pour Planète Amazone.