Le retour et les premières mesures du président Lula permettaient d’espérer un répit pour les populations indigènes du Brésil, gravement affaiblies par le mandat de Jair Bolsonaro. La création d’un ministère des peuples indigènes et la relance du processus de démarcation ont alimenté l’espoir que le plus grand pays d’Amérique Latine entre enfin dans une nouvelle ère de respect de l’environnement et des droits des peuples indigènes.
Néanmoins, ce mardi 31 mai, les députés ont violemment enterré cet espoir. Le Congrès a brisé le pacte constitutionnel qui assurait la protection des terres indigènes. La chambre des députés, à majorité libérale (parti de Bolsonaro), a notamment voté une loi limitant leur démarcation.
Un tremblement de terre pour l’environnement et les peuples indigènes
Cette semaine a entériné le retour au démantèlement des droits des peuples indigènes au Brésil. Le 24 mai dernier, la chambre des députés a approuvé le projet de loi PL 1154, qui prive le ministère de l’environnement du Registre environnemental rural, un dispositif essentiel dans la lutte contre la déforestation. En effet, le Registre environnemental rural regroupe en un dossier de nombreuses informations environnementales sur les propriétés rurales et est donc un outil indispensable pour protéger la forêt amazonienne.
Ce mardi 30 mai, le Congrès a voté une nouvelle loi inquiétante : la PL 490. Parmi ses mesures, la restriction de la démarcation aux seules terres occupées par les indigènes en 1988, année de la Constitution brésilienne. Ou encore le transfert de la démarcation du ministère des peuples indigènes à celui de la justice.
C’est bien évidemment un non-sens, et un moyen de mettre à mal tout projet de démarcation. En effet, lors de la création de la Constitution, un grand nombre de peuples indigènes n’étaient pas présents sur leurs terres, chassés au fil des siècles. Cette mesure restreint donc considérablement le périmètre de terres pouvant être démarquées.
Mais ce projet ne se contente pas de complexifier et limiter le processus de démarcation. Il le vide de toute substance. Si cette loi est promulguée, il sera possible de construire des autoroutes, des centrales hydroélectriques et de réaliser d’autres entreprises sur les terres indigènes protégées.
Pourquoi est-ce si grave ?
La démarcation est un enjeu fondamental dans la protection des droits des peuples indigènes. Elle interdit l’exploitation de leurs terres, et les préserve ainsi des destructions qui en découlent. Elle joue aussi un rôle capital dans la prévention de la déforestation.
“Il s’agit d’un génocide contre les peuples indigènes, mais aussi d’une attaque contre l’environnement”, a affirmé Sônia Guarajaja, ministre des peuples indigènes.
Aujourd’hui, sur les 1299 territoires sur lesquels vivent les peuples indigènes, entre 400 et 500 terres sont démarquées et plus de 800 sont encore en attente de démarcation. Le travail de démarcation est donc très loin d’être achevé, ce qui n’a pas empêché Jair Bolsonaro de l’interrompre totalement dès son élection en 2018.
Ces deux lois représentent donc un danger immense pour les peuples indigènes comme pour la planète, à l’heure ou l’Amazonie a dépassé 27% de déforestation et où de nombreux indigènes meurent tous les jours, à l’image des Yanomami.
Le “marqueur temporel”, une théorie fallacieuse redoutable
Si le nouveau gouvernement formé par Lula incarne une révolution (incarnée par la première élection d’une indigène à la tête d’un ministère), la chambre des députés est très conservatrice. En effet, la grande majorité des députés est issue du parti libéral, celui de Jair Bolsonaro, et également favorable à l’industrie agro-alimentaire. Cette dernière, bien qu’essentielle au développement économique du pays, était à l’origine de 97% de la déforestation amazonienne en 2021, selon le média brésilien Brasil de Fato.
Ils justifient leur vote par la Théorie du marqueur temporel (Marco Temporal). Celle-ci ignore complètement la présence des peuples indigènes avant la Constitution, faisant démarrer l’histoire du pays à celle-ci. De cette manière, ils légitiment l’expropriation des peuples indigènes, qu’ils considèrent comme les véritables colons.
Cette thèse anti-indigènes, portée par le milieu de l’agro-industrie, a trouvé un écho important au sein du Congrès. Jair Bolsonaro en était lui-même adepte et a largement contribué à son adhésion.
Le 7 juin : une date cruciale pour l’avenir de l’Amazonie
La journée du 7 Juin sera décisive : la Cour Suprême Fédérale devra se prononcer sur la constitutionnalité de ces deux projets de loi. En juin 2022 et en décembre 2021, elle était déjà parvenue à empêcher l’adoption de la PL 490 et en protéger ainsi les peuples indigènes.
Cela laisse donc un espoir, même si rien n’est encore joué. Si le texte est validé, ce sera une déclaration de guerre contre les peuples indigènes.
L’inquiétante inaction du président Lula
Si le début de mandat du président Lula, marqué par le retour de la lutte contre la déforestation et la fin de l’impunité pour les orpailleurs, a été bien accueilli par les peuples indigènes, son inaction face à ce coup de grâce laisse un goût amer.
Certes, le rapport de force au sein du Congrès lui est défavorable. Très marqué à droite, les représentants de l’agro-industrie y sont très puissants, et seuls 20% des députés sont issus du parti travailliste.
Mais, en refusant de prendre position personnellement, Lula a fragilisé son propre camp. « Le président Lula aurait pu s’impliquer un peu plus » avouait en interview Sônia Guajajara, la ministre des peuples indigènes et militante indigène de renom. Son manque d’implication face à une attaque de cette envergure contre les peuples indigènes et l’Amazonie fragilise gravement la crédibilité de son gouvernement et ses ambitions climatiques.
Retour à l’état de guerre pour les peuples indigènes
Seguimos em luta pelos direitos dos povos indígenas. O PL 490 é inconstitucional e já oficiamos o Senado para que o retire de pauta. Nossa história não começa em 1988 e o Brasil é terra indígena. #PL490NAO#demarcacaojahttps://t.co/w6LLelQiLc pic.twitter.com/PFgrzBavaM
— Célia Xakriabá (@celiaxakriaba) June 1, 2023
“Parce qu’il n’y aura pas de forêt debout avec du sang indigène sur le sol.” Par ces mots, Célia Xakriabá, seule député autochtone et militante du peuple Xakriabá, rappelle que si elles sont approuvées, ces mesures auront un impact non seulement sur la vie des peuples indigènes du Brésil, mais aussi sur la population mondiale. Bien qu’ils ne représentent que 5 % de la population mondiale, les peuples indigènes protègent 80% de la biodiversité mondiale sur leurs territoires, selon l’ONU.
Não há futuro sem terras indígenas. Nós somos a proteção dos biomas brasileiros.
O marco temporal ameaça todos nós!#MarcoTemporalNão#genocidiolegislado #PL490NAO
Foto: Matheus Carvalho pic.twitter.com/7tlZJpGMUM— Apib Oficial (@ApibOficial) May 30, 2023
Le mouvement indigène continue de résister et de combattre dans les territoires, les villes, à Brasília et à travers le monde.
Le soutien de la communauté internationale a été essentiel pour empêcher la politique de Bolsonaro de devenir encore plus destructrice, affirme l’Articulation des peuples indigènes du Brésil (APIB). Ils ont plus que jamais besoin de votre aide !
Comment soutenir la lutte des peuples indigènes pour leur environnement et notre avenir ?
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A lire également sur Planète Amazone :
https://planeteamazone.org/actualites/bolsonaro-roi-de-la-politique-ecocidaire-et-anti-indigene/
Sources :
APIB : International Indigenous Mobilization : scenario of setbacks in Brazil
Le Monde : Au Brésil, malgré les promesses de Lula, les menaces sur l’environnement se multiplient
Le Guardian : Outrage as Brazil law threatening Indigenous lands advances in congress
Brasil de Fato : Agronegócio foi responsável por 97% do desmatamento no Brasil em 2021
Article rédigé par Quentin Moreau et Eléonore Di Maria pour Planète Amazone