Jeudi 28 décembre 2023, le président du Sénat Rodrigo Pacheco a promulgué une terrible loi anti-indigène, la PL 490. Pourtant, cette dernière avait été déclarée anticonstitutionnelle par la Cour Suprême et partiellement censurée par le président Lula. C’est une catastrophe pour les peuples indigènes.
La PL 490 : un projet de loi destructeur pour les droits des peuples indigènes
La PL 490 est directement inspirée de la thèse du marqueur temporel (“Marco Temporal”) soutenue par l’agro-industrie. En effet, le projet de loi restreint la démarcation des terres indigènes à celles dont il est possible de prouver qu’elles étaient déjà occupées par un peuple indigène à la date du 5 octobre 1988, date de promulgation de la Constitution fédérale en vigueur aujourd’hui au Brésil.
Cette interprétation fallacieuse de la Constitution est un moyen de mettre à mal tout projet de démarcation puisqu’en 1988, un grand nombre de peuples indigènes n’étaient pas présents sur leurs terres, chassés au fil des siècles. Cette mesure restreint considérablement le périmètre de terres pouvant être démarquées et oblige les peuples indigènes à apporter la preuve de leur présence sur le territoire.
Pourtant, la démarcation est un enjeu fondamental dans la protection des droits des peuples indigènes. Elle interdit l’exploitation de leurs terres, les préserve ainsi des destructions qui en découlent et joue ainsi un rôle capital dans la prévention de la déforestation
Les communautés indigènes, premières victimes de la crise politique brésilienne
Depuis l’entrée en fonction du président de gauche Lula, les droits des peuples indigènes se sont retrouvés au cœur d’un bras de fer entre les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires brésiliens.
En mai 2023, le congrès, à majorité conservatrice, vote à une large majorité la PL 490.
Quatre mois plus tard, jeudi 21 septembre, après de nombreuses manifestations des peuples et leaders indigènes, une écrasante majorité (9 voix contre 2) de juges de la Cour Suprême ont déclaré cette loi anticonstitutionnelle et ont, de ce fait, conforté le droit inaliénable des peuples indigènes à occuper leurs terres ancestrales.
Mais le répit pour les peuples indigènes fut de courte durée. A peine 6 jours plus tard, la PL 490 est de nouveau à l’ordre du jour et les sénateurs l’adoptent également à une large majorité. Ils s’opposent ainsi frontalement à la décision des juges de la Cour Suprême et plongent le Brésil dans une crise politique et institutionnelle majeure. Dans ce contexte, le président Lula a décidé, en octobre, d’opposer son veto aux principales mesures du texte.
Hélas, depuis lors, le Congrès est passé outre le veto du président et a bel et bien promulgué la loi jeudi 28 décembre.
L’Association des peuples indigènes du Brésil (APIB) et le gouvernement brésilien ont annoncé faire un recours auprès de la Cour Suprême. Le texte sera donc à nouveau soumis aux juges qui devraient vraisemblablement le bloquer de nouveau.
Une situation juridique très dangereuse
Selon l’avocat Melillo Dinis, de la Commission Spéciale pour la Défense des droits des peuples indigènes, l’intention des deux chambres du Congrès est de créer un blocage politique qui aura pour conséquence de retarder les 42 démarcations de terres autochtones qui étaient prévues.
En effet, le Brésil a désormais une loi qui va à l’encontre de ce que dit la Constitution, qui précise pourtant que les peuples autochtones ont droit à leurs terres quel que soit le moment où ils ont occupé la terre, comme le rappelle le professeur adjoint de droit constitutionnel de l’Université d’État de Rio de Janeiro, Wallace Corbo.
Les experts craignent également que, pendant cette période d’incertitude, il y ait davantage de cas de violence dans les campagnes et d’invasions de paysans sur des terres qui devraient être protégées.
“L’histoire du Brésil est l’histoire de la violence. C’est ce qui se produit lorsque le crime est organisé et que l’État est désorganisé.” explique Melillo Dinis.
Quels leviers d’action ?
Dans ce contexte, il est essentiel de rappeler que les pays européens ont une responsabilité historique dans la déforestation de l’Amazonie et donc dans les attaques contre les terres indigènes. En effet, l’agriculture intensive et l’orpaillage, principales causes de déforestation au Brésil, sont des activités majoritairement destinées à l’exportation vers l’Union Européenne, la Chine et les Etats-Unis.
Nous appelons à une réaction de nos gouvernements et de la société civile à la hauteur des enjeux écologiques et humanitaires. Il est impensable de continuer d’entretenir d’importantes relations commerciales avec un pays dont le Congrès viole la Constitution et se soustrait à toutes les normes environnementales. Seule une pression internationale forte pourra faire infléchir les députés et sénateurs brésiliens et enfin protéger l’Amazonie et les peuples indigènes.
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Sources :
Camara dos Deputados : Congresso derruba veto ao marco temporal das terras indígenas
Agencia Brasil : Indígenas recorrem ao STF após derrubada de vetos sobre marco temporal
Politicalivre : Marco temporal da demarcação das terras indígenas vira lei; veja o que ocorre agora
Article rédigé par Quentin Moreau pour Planète Amazone