Des tragiques années 1980 jusqu’aux débats politiques contemporains, la question de l’indépendance Kanak demeure un sujet brûlant en Nouvelle-Calédonie. De nombreux événements marquants, des accords de Matignon aux récents bouleversements politiques, ont façonné le combat du peuple Kanak pour l’autodétermination.
Un contexte post-colonial complexe
La Nouvelle-Calédonie, sous le joug colonial de la France depuis 1853, a été érigée en territoire d’outre-mer en 1946. Constituant la population mélanésienne de l’archipel, les Kanaks représentent plus de 41 % des 271 400 habitants selon le recensement de 2019. Or durant la période coloniale, les Kanaks ont été soumis au régime de l’indigénat, contraints à vivre dans des réserves et exploités. Ce lourd passé, marqué par la spoliation des terres et le racisme, a façonné une fracture profonde entre les Kanaks et les Caldoches, descendants des colons européens.
À la fin des années 1960, un vent de révolte souffle sur la Nouvelle-Calédonie, stimulé par le mouvement étudiant de Mai 68 en France métropolitaine. Les jeunes Kanaks réclament une reconnaissance de leur identité culturelle.
Un processus de décolonisation inachevé
Les années 1980 sont le théâtre d’affrontements sanglants en Nouvelle-Calédonie, marquées par le massacre de Hienghène en décembre 1984, où dix militants indépendantistes sont tués dans une attaque menée par les loyalistes. Ces années de violences s’achèvent par la tragique prise d’otages d’avril 1988, durant laquelle les indépendantistes retiennent des gendarmes dans la grotte d’Ouvéa. Le 5 mai 1988, François Mitterrand et son premier ministre Jacques Chirac donnent l’ordre de lancer l’assaut, aboutissant à la mort de 25 personnes, 19 Kanaks et 6 militaires.
Cet évènement dramatique conduit à une prise de conscience de l’urgence d’apaiser les tensions, illustrée par la rencontre historique à Paris des deux figures politiques majeures, Jacques Lafleur du Rassemblement pour la Calédonie dans la République, et Jean-Marie Tjibaou du Front de libération nationale kanak et socialiste.
Les accords de Matignon puis de Nouméa, signés en 1988 et 1998, manifestent une tentative de résolution des conflits en offrant une période de développement et des garanties d’autonomisation à la communauté Kanak, dans une logique de décolonisation. Cependant, ces accords ne parviennent pas à adoucir les tensions profondes entre les factions loyalistes et indépendantistes.
L’accord de Nouméa prévoyait trois référendums d’autodétermination afin de laisser aux habitants de l’archipel le choix de leur avenir politique. Le troisième et dernier référendum de 2021, marqué par un boycott des indépendantistes dû au refus de repousser la consultation pour cause de Covid-19, remet en question la légitimité du processus démocratique : « Pour nous, la troisième consultation n’a pas eu lieu, on conteste les résultats », souligne Pierre-Chanel Tutugoro, président du groupe UC-FLNKS.
Le nouveau projet de loi constitutionnelle met le feu au poudre
Le système électoral des élections provinciales, instauré suite à l’accord de Nouméa de 1998, restreint le corps électoral aux inscrits de 1998 et à leurs descendants, excluant ainsi environ 20 % de la population. En janvier 2024, le gouvernement a présenté un projet de loi pour dégeler ces listes à partir du 1er juillet 2024, afin d’inclure les citoyens nés sur place ou y résidant depuis au moins dix ans, intégrant environ 25 000 personnes. Cette réforme, qui augmenterait le corps électoral de 14,5 %, pourrait diluer la voix politique des Kanaks, déjà discriminés :
« La situation de la Nouvelle‑Calédonie se distingue de celle de la France (métropolitaine, NDLR) et de la plupart des pays occidentaux en ce que les ethnies discriminées ne sont pas celles issues de l’immigration. C’est bien du contraire qu’il s’agit : la Nouvelle‑Calédonie a été une terre d’immigration (colonisation de peuplement) et les inégalités observées existent à l’avantage des immigrants et au détriment du peuple autochtone […]. » (Catherine Ris, chercheuse pour l’INSEE).
Le 13 mai 2024, après la validation du projet de loi par le Sénat, des manifestations violentes ont éclaté à Nouméa et dans d’autres villes, entraînant l’état d’urgence et le déploiement de l’armée. L’aéroport international a été fermé, et des évacuations de touristes ont été organisées.
Les réactions à cette réforme sont fortement polarisées. Les indépendantistes, notamment le FLNKS, craignent pour l’autodétermination, tandis que les loyalistes voient une opportunité de stabiliser le climat politique et d’élargir la participation électorale. Emmanuel Macron, lors de sa visite en mai 2024, a évoqué l’organisation d’un référendum pour confirmer le soutien à la réforme électorale et apaiser les tensions. Pierre-Chanel Tutugoro estime quant à lui que la décolonisation doit être achevée avant de discuter du corps électoral. Encore aujourd’hui, l’ONU classe la Nouvelle-Calédonie comme un « territoire non autonome », signifiant qu’elle n’est pas complètement autogérée et que la décolonisation n’y est pas achevée. Actuellement, 17 territoires sont considérés comme non autonomes dans le monde.
Des inégalités socio-économiques persistantes
Malgré l’accord de Nouméa, qui visait à réduire les inégalités entre territoires et communautés, les disparités socio-économiques demeurent. En 2019, le niveau de vie médian dans la province Nord, majoritairement peuplée de Kanaks, était deux fois inférieur à celui de la province Sud, avec 32,5 % des Kanaks vivant sous le seuil de pauvreté contre 9 % pour le reste de la population. Ce déséquilibre s’explique par l’industrie du nickel, centrée à Nouméa, qui attire populations et entreprises, et développe les infrastructures principalement autour de la capitale.
Les Kanaks revendiquent aujourd’hui un plus grand contrôle sur l’exploitation et la gestion des ressources minières, arguant que les bénéfices devraient davantage profiter à la population locale, touchée par ces disparités économiques. Globalement moins diplômés que les autres communautés, les Kanaks restent minoritaires sur le marché du travail. Cependant, les disparités persistent même à niveau de diplôme équivalent. Les Kanaks occupent ainsi des emplois à moindre responsabilité ou plus précaires et sont plus fréquemment touchés par le chômage. En 2020, ce dernier touchait 19,7 % des Kanaks, soit 6 points de plus que celui de l’ensemble de la population.
Le 12 juin, lors d’une conférence de presse, Emmanuel Macron annonce la suspension du projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral, laissant entrevoir un espoir d’apaisement, mais pas son retrait, comme réclamé par les indépendantistes. Aujourd’hui plus que jamais, les revendications légitimes des Kanaks pour la reconnaissance de leur souveraineté doivent être écoutées. Il est impératif que les autorités engagent un dialogue avec les représentants Kanaks afin de trouver une solution pacifique et durable à cette crise, en accord avec les principes de décolonisation prévus par l’accord de Nouméa.
Sources :
Radio France : Du massacre d’Ouvéa aux accords de Nouméa, l’indépendantisme kanak
Le Monde : Nouvelle-Calédonie : les questions pour comprendre la crise
Outre-Mer la 1ère : DOSSIER. Bilan de l’Accord de Nouméa : les inégalités sociales restent importantes entre communautés et provinces [3/4]
France Info : Émeutes en Nouvelle-Calédonie : “Il en va de notre survie”, dénoncent des opposants à la réforme constitutionnelle
Outre-Mer la 1ère : Dégel du corps électoral. Emmanuel Macron “a décidé de suspendre” le projet de loi constitutionnelle, déclare-t-il
Article rédigé par Julia Carrasquer avec la participation de Quentin Moreau pour Planète Amazone.