Ces trente dernières années, 420 millions d’hectares de forêt ont disparu de la surface de la Terre – soit une superficie plus vaste que l’Union européenne. Une catastrophe environnementale et climatique, essentiellement due à la transformation des forêts en terres cultivées. Or, ces dernières épuisent les sols et mettent en péril l’équilibre climatique local et mondial. La Commission européenne a chiffré la responsabilité de l’UE en ce domaine : les pays européens sont responsables de plus du tiers de la déforestation liée au commerce international de produits agricoles.
Si cette loi est bien la preuve d’une véritable prise de conscience européenne des ravages engendrés par la déforestation, son application n’en demeure pas moins problématique et de nombreux obstacles risquent fort d’entraver sa pleine efficacité.
Que dit la nouvelle loi européenne ?
Selon le nouveau texte européen, les pays exportateurs, et certaines régions au sein de ces pays, seront classés en fonction de leur niveau de risque. Ainsi, pour les marchandises issues de ces pays et régions, des contrôles plus ou moins réguliers seront effectués. Lors de ces contrôles, le vendeur qui met un produit pour la première fois sur le marché de l’Union devra fournir les coordonnées de géolocalisation de toutes les parcelles d’où vient le produit transporté.
Sur la base de ces informations, les autorités compétentes de l’UE – qui n’ont d’ailleurs pas encore été déterminées – évalueront l’origine grâce à des outils de surveillance satellitaire et des analyses ADN. Si elles découvrent qu’une parcelle a été déboisée après le 31 décembre 2020, les importateurs seront sanctionnés. L’amende maximale prévue représentera au moins 4 % du chiffre d’affaires annuel total de la société.
Mais de grandes questions apparaissent : tous les fournisseurs seront-ils en mesure de transmettre ces données avec précision ? Et s’ils mentent, sera-t-il possible de le vérifier ?
Une traçabilité des produits est-elle vraiment possible?
Parmi les produits ciblés par cette nouvelle législation de l’Union européenne, figurent le soja, le bœuf, le caoutchouc, le cacao, le café, le bois ou leurs produits dérivés comme le cuir ou l’huile de palme.
La Malaisie et l’Indonésie sont les premiers producteurs mondiaux d’huile de palme. La géolocalisation devrait permettre d’y identifier les plantations des compagnies, des communautés et des petits producteurs indépendants. Mais en Indonésie, les données sur le permis de plantation des palmiers à huile des compagnies ne sont pas des données publiques accessibles. Le risque, c’est donc que les évaluations ne reflètent pas la réalité sur le terrain et que la déforestation soit, finalement, bien difficile à retracer.
Au Brésil, le soja, de sa récolte à sa vente, passe entre les mains de plusieurs intermédiaires. Les récoltes sont ainsi mélangées à toutes les étapes : dans les silos, dans les camions, les bateaux, les usines de fabrication d’aliments pour animaux… De plus, les camions prennent en charge les produits de base en provenance de différentes régions (“déforestation zéro” ou non). Ces produits sont ensuite mélangés dans des installations de stockage ou des fabriques, avant d’être transportés vers des navires, dans des réservoirs mixtes qui peuvent approvisionner plusieurs continents. Aussi, identifier la provenance de chacun de ces produits peut se révéler fortement compromis.
C’est aussi ce que déclare l’eurodéputé Christophe Hansen, rapporteur du texte : « En vertu des règles actuelles, il ne serait pas possible de remonter, pour chaque produit, jusqu’à la parcelle d’un exploitant. »
Des contournements de la législation déjà à l’oeuvre
Plusieurs groupes brésiliens, comme JBS, le numéro 1 mondial de la viande, assurent pratiquer une politique de tolérance zéro envers leur fournisseur. Sauf que JBS a été accusé à de nombreuses reprises de “blanchir” du bétail, ce qui consiste à élever des bêtes dans une ferme déforestée illégalement, puis de les transférer dans une autre, dite “propre”. Au Brésil, le suivi individuel des bœufs tout au long de leur vie n’est pas obligatoire. Ce qui facilite ce genre de fraudes et rend, là aussi, impossible la traçabilité des produits.
Face à la réalité du marché agricole, comment garantir l’origine des produits importés ?
Aujourd’hui, des multinationales sont en position de force et presque intouchables. Ainsi, le marché du soja se trouve entre les mains d’une poignée de « traders », surnommés les « ABCD » pour ALZ Graos, Bunge, Cargill COFCO et Louis Dreyfus, tous impliqués dans la déforestation. La filière d’alimentation animale française se fournit principalement auprès de trois d’entre eux : Bunge, Cargill et Louis Dreyfus. Interdire aux Européens de consommer du soja déforestant n’empêchera donc pas de travailler avec ces déforesteurs, en pleine situation de monopole.
La surconsommation exponentielle des produits agricoles en Europe, comme ailleurs, est au cœur du problème de la déforestation. Sans changer cette donne, toute la technocratie européenne peut se mettre en branle pour tenter d’interdire la déforestation importée, il y a fort à parier que les cultures continueront de s’étendre en avalant les forêts …
La solution pourrait se trouver en amont : dans la transition agricole vers des modèles moins productivistes et la réduction de nos consommations, notamment de viande …
Sources
France TV Info : Comment est perçue la décision de l’Union européenne sur la déforestation importée ?
Mediapart : Déforestation importée : un grand pas pour l’UE, un petit pour la forêt
Article rédigé par Laetitia Forestier pour Planète Amazone