*Article modifié le 13 mai 2022
Cela fait sept mois que des centaines de familles indigènes ont installé un campement au sein du parc national de Bogotá. Rare îlot de verdure dans la capitale colombienne, le parc est désormais rempli de bâches, de feux de camp et de cordes à linge.
Fin mars 2022, les autorités colombiennes ont recensé la présence de 1 585 indigènes, majoritairement de familles Embera Chamí et Katío, des régions de Cauca et du Choco dans le Sud-Ouest du pays. Depuis 2016 et la signature de l’accord de paix entre le gouvernement et les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), plus de 19 000 indigènes déplacés ont été contraints de se rendre dans la capitale colombienne. Mais c’est la première fois qu’un groupe aussi nombreux se réunit dans un même lieu. Malgré l’accord de paix, les communautés indigènes et afrocolombiennes sont toujours la cible d’attaques et de violations des droits humains.
Les indigènes fuient l’insécurité qui résulte de l’affrontement de groupes armés pour le contrôle du trafic de drogue dans leur région, ce qui les empêche de rentrer chez eux. Ils réclament au gouvernement des garanties pour leur sécurité, ainsi que pour l’accès à la santé et à l’alimentation qui ont été particulièrement fragilisés par la pandémie de COVID-19. Engagées il y a des mois, les négociations s’enlisent. Les indigènes ne sont pas satisfaits des propositions des autorités, que ce soit en termes d’hébergement temporaire à Bogotá, dans des gymnases, ou pour garantir que leurs droits seront respectés s’ils retournent dans leurs territoires.
Les conditions de vie dans le parc sont précaires et insalubres. Les indigènes vivent dans des conditions de pauvreté extrême, survivant grâce à l’artisanat ou à la mendicité. Depuis le début de la crise, la mairie prétend apporter toute l’aide humanitaire qu’elle peut et tente de trouver des solutions de logements temporaires aux réfugiés, dans le but de les aider à regagner leur territoire. Cependant, une volontaire a dénoncé, sous couvert d’anonymat, des conditions de vie indignes et la présence de rats et de maladies, dont la tuberculose. Cinq enfants seraient décédés de causes liées à la malnutrition, selon des représentants de communautés indigènes. Au total, dix indigènes sont décédés depuis l’arrivée des familles en septembre 2021.
Tensions grandissantes et répression violente
Plusieurs incidents ont également cristallisé les tensions entre les indigènes et les autorités. Fin janvier 2022, une mère Embera et sa fille ont été écrasées par un camion près d’un autre site, où se trouvaient des personnes déplacées. Le chauffeur du camion a été lynché à mort. Plus récemment, le 5 avril dernier, une femme et ses deux enfants ont été renversés par un taxi près du parc national.
Mercredi 6 avril 2022, la police est intervenue lors d’une manifestation des communautés indigènes, qui visait à interrompre le trafic routier aux alentours du parc national. L’organisation indigène nationale de la Colombie a dénoncé dans un tweet, l’usage excessif de la force par la police : “Depuis la Colombie, nous dénonçons l’intervention de la police colombienne, qui réprime avec violence et sans respect, les droits des familles Embera au sein du parc national de Bogotá”.
?#ATENCION
Desde @ONIC_Colombia denunciamos la intervención del #ESMAD de la @PoliciaColombia quienes a esta hora reprimen con violencia y sin respeto por los DDHH a las familias el Pueblo Embera del #ParqueNacional de Bogotá#SOSPueblosIndigenas pic.twitter.com/5yNW5MOfS3— Organización Nacional Indígena de Colombia – ONIC (@ONIC_Colombia) April 7, 2022
Des bombes lacrymogènes et étourdissantes auraient été utilisées alors que des enfants étaient présents dans la foule. Plus de vingt personnes et neuf policiers auraient été blessés lors de cet incident.
Tentatives de décrédibilisation face à des revendications légitimes
La maire de Bogotá, Claudia López, a accusé les indigènes d’avoir instrumentalisé les enfants pendant la manifestation. Le secrétaire du gouvernement de Bogotá, Felipe Jiménez, a accusé les enfants d’avoir jeté des pierres et critiqué l’apparent manque de volonté des indigènes dans les négociations. Certains médias colombiens accusent également les manifestants de vandalisme.
Jairo Montañez, leader de communautés indigènes à Bacatá, présent lors de la manifestation du 6 avril 2022, a réfuté ces accusations, expliquant qu’il y a d’abord eu un dialogue avec la police afin d’éviter toute violence. Les indigènes ont informé la police qu’il leur fallait un laps de temps pour évacuer les enfants, mais la police est intervenue sans attendre. Sandra Rosado, représentante du peuple Wayuu a également insisté pour contredire ces accusations.
Mise à jour du 13 mai 2022 : un accord conclu avec les autorités colombiennes après huit mois de lutte
Après huit mois de lutte et de mobilisation, les indigènes sont parvenus, jeudi 5 mai 2022, à un accord avec les autorités colombiennes. Selon l’accord, le Ministère de l’intérieur colombien, et l’unité pour la vigilance et la réparation intégrale aux victimes, se chargeront de garantir leur retour en toute sécurité dans leurs territoires d’origine. Ils ont également obtenu de participer à la politique publique indigène que les autorités lanceront dans les jours à venir. Un soutien économique leur sera apporté pour financer des projets et des solutions de logement alternatives en accord avec leurs pratiques socioculturelles.
Certains ont toutefois choisi d’être relogés à Bogotá plutôt que de retourner dans leurs territoires d’origine. Les autorités leur ont assuré qu’une aide leur serait apportée pour l’alimentation, les services de santé, l’éducation et les soins à la petite enfance. Des espaces pour vendre leur artisanat seront également ouverts.
Vendredi 13 mai, tous les indigènes avaient quitté volontairement le parc national, à bord des bus mis à disposition par les autorités. Selon les termes de l’accord, ils ont été accompagnés dans des hébergements dans différents quartiers de Bogotá, où ils seront logés temporairement, en attendant d’être transportés jusqu’à leurs territoires, ou relogés dans la capitale.
Cela marque la fin d’un chapitre pour la mobilisation indigène en Colombie. L’accord apporte un début de solution aux problèmes dénoncés par les peuples indigènes. Reste à voir si les garanties promises par les autorités seront efficaces et suffisantes.
Article rédigé par Anne-Sophie Fernandes
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Sources principales:
France 24 « Refugee camp in Bogota park evokes pain of conflict »
CNN « Denuncian intervención “desproporcionada” de policías contra indígenas en Bogotá; los hechos dejaron decenas de heridos »
El Universal « Diez indígenas han fallecido durante los meses de asentamiento en Bogotá »
El Universal « Indígenas en el parque Nacional, un problema que se salió de control »
W Radio « Claudia López acusa a indígenas de instrumentalizar niños para tirar piedras y cometer actos vandálicos »
Infobae « Secretario de Gobierno de Bogotá se refirió a las protestas de los indígenas en el parque Nacional: “Niños lanzaban piedras contra los gestores de convivencia” »