Par Sabrina Valle
RIO DE JANEIRO (Reuters) – Pour le peuple indigène Krenak qui vit le long du Rio Doce dans le sud-est du Brésil, la voie navigable était l’âme de la communauté, une source de nourriture et une présence spirituelle, là où les enfants étaient baptisés et apprenaient à nager.
Mais en 2015, un barrage détenu conjointement par le groupe BHP et Vale SA s’est effondré, en libérant 44 millions de mètres cubes de déchets miniers dans le fleuve et dans l’océan Atlantique, soit 650 km plus loin, ce qui est devenu la pire catastrophe écologique du Brésil.
Cinq ans plus tard, les membres de la tribu affirment que la survie reste un combat, bien qu’ils vivent à des centaines de kilomètres en aval du barrage qui a cédé, et pleurent un fleuve vénéré qu’ils connaissaient depuis longtemps sous le nom de « Uatu » : un parent sacré et omniprésent.
« Uatu est mort », a déclaré Djanira Krenak, matriarche et pajé (leader spirituel) Krenak âgée de 70 ans, à Reuters lors d’un appel vidéo, son premier, sur un téléphone emprunté. « Je n’aime pas me souvenir, parce que ça fait tellement mal », a-t-elle ajouté en larmes. « Le fleuve est notre mère, notre père. Et maintenant, il est mort ».
À présent, la tribu et les indigènes Guarani plaident leur cause ensemble devant un tribunal anglais, à des milliers de kilomètres de là. Ils ont rejoint une solide action collective de 200 000 personnes contre le géant minier anglo-australien BHP, réclamant près de 5,5 milliards d’euros (5 milliards de livres sterling) de dommages et intérêts, et dont le cas commencera à être exposé lundi.
Les leaders des deux tribus, qui ont échangé avec Reuters lors d’un entretien téléphonique vidéo commun organisé par un vidéaste travaillant avec les demandeurs, expliquent qu’ils ne cherchent plus de plantes médicinales sur les berges du fleuve, qu’ils ne pêchent plus, ni ne nagent dans ses eaux.
Les jeunes, nés en 2015, seraient en train de nager à l’heure actuelle. Ils rapportent qu’au contraire, la plupart d’entre eux n’ont jamais touché l’eau de peur qu’elle soit contaminée.
‘DU PASSÉ’
Djanira a indiqué : « Nous ne pouvons plus manger de capybaras (rongeurs géants), nous ne pouvons plus manger d’oiseaux, nous ne pouvons plus manger de miel, car les abeilles boivent l’eau du fleuve. Nous ne pouvons plus chasser, ni pêcher ».
« Comment allons-nous vivre ? Il y avait un peu de tourisme… mais c’est du passé », ajoute le chef Kara’i Peru, de la tribu indigène Guarani de la municipalité d’Aracruz dans l’État d’Espírito Santo, qui borde le Minas Gerais, là où le barrage se trouvait. BHP nie la toxicité des résidus et conteste les accusations selon lesquelles la catastrophe a augmenté les taux d’arsenic, de cadmium, de mercure, de plomb, de cuivre et de zinc déjà relevés dans les eaux.
Mais pour les Guarani, dont les enfants pêchaient autrefois au harpon la nuit, un dîner composé de poisson signifie à présent deux heures et demie de route jusqu’à un marché aux poissons fiable. Même si les Guarani vivent sur une rivière différente nommée Piraquê-Açu, le chef affirme que ses eaux sont également polluées par la catastrophe, car il déclare que les résidus sont retournés dans d’autres rivières après avoir été déversés dans l’océan.
Interrogé à propos de la pêche dans le Rio Doce, le groupe BHP déclare qu’il y avait une « restriction de conservation préventive » sur la pêche concernant les espèces indigènes de l’État de Minas Gerais pour permettre aux stocks de poissons de se reconstituer, mais qu’il n’y avait pas de restriction sur la consommation de poissons dans le Rio Doce et aucune interdiction de pêche en aval dans l’Espírito Santo. BHP explique que la fondation Renova, un programme de réparation défini en 2016 par Samarco, la co-entreprise qui possédait le barrage, a dépensé aux alentours de 1,45 milliard d’euros (1,3 milliard de livres sterling) pour des projets ainsi qu’une aide financière mensuelle à environ 130 familles Krenak. Mais les deux tribus disent souffrir. Et le chef Peru indique que les Guarani de Piraquê-Açu, contraints d’acheter du poulet et du bœuf, regrettent le bon vieux temps.
Djanira compte désormais sur l’eau fournie par la fondation Renova. « Nous avons perdu ce fleuve, dit-elle. Il ne reviendra pas ».
Renova et Samarco ont été le visage public de la catastrophe au Brésil. Mais une série d’actions en justice devant les tribunaux brésiliens n’a guère fait avancer les choses.
Le chef Peru dit espérer que le procès anglais offrira une indemnité qui pourrait permettre à la communauté d’accéder à nouveau à de l’eau potable et à du poisson frais.
« Au Brésil, il n’y a pas de justice », a-t-il déclaré.
Reportage par Sabrina Valle à Rio de Janeiro, reportage complémentaire par Kirstin Ridley à Londres, révisé par Christian Plumb et Lisa Shumaker
© Reuters, 01/08/2020, traduit de l’anglais par Sophie Pires – Article original