La mesure qui réduit la protection des terres indigènes est l’œuvre de Nabhan Garcia
Par Bruno Stankevicius Bassi
Publiée dans le Journal Officiel mercredi dernier (22), l’instruction normative n° 9/2020 (IN 9/2020) de la Fondation Nationale de l’Indien (FUNAI) provoque un renversement de la politique relative aux indigènes. (L’instruction normative est une ordonnance signée par le président qui entre en vigueur immédiatement, et qui doit être soumise rapidement à un vote au congrès pour en confirmer la validité. NdT) La mesure modifie la procédure d’analyse et de délivrance de la Déclaration de Reconnaissance des Limites, document dont le but est d’empêcher qu’une propriété rurale ne s’établisse sur une zone autochtone enregistrée au cadastre du Système de Gestion des Terres (SIGEF), plateforme gérée par l’Institut National de la Colonisation et de la Réforme Agraire (INCRA).
Nabhan Garcia, secrétaire spécial aux Affaires Foncières du Ministère de l’Agriculture, veut être ministre à la place de la ministre. (De gauche à droite, Jair Bolsonaro, président du Brésil, Tereza Cristina, ministre de l’argriculture, Nabhan Garcia) – Crédit photo : Divulgation,
Désormais, outre les réserves indigènes et les terres domaniales des communautés autochtones, ne seront dorénavant reconnues par le SIGEF que les Terres Indigènes (TI) d’occupation traditionnelle, déjà ratifiées par décret présidentiel. Ainsi, sont exclus du texte 237 territoires qui sont encore en processus de démarcation, rendant donc possible leur occupation, leur vente et leur lotissement. En épargnant les Terres Indigènes dont les zones ont déjà été délimitées et/ou déclarées, cette mesure « met à la disposition » du marché 9,8 millions d’hectares de terres publiques, soit une superficie équivalente à celle de l’État de Pernambouc (un peu plus grand que le Portugal, NdT).
Le projet est né d’une manœuvre du président de la FUNAI, Marcelo Xavier, nommé à ce poste par le ministre Onyx Lorenzoni et approuvé par les dirigeants du groupe ruraliste ; et du secrétaire spécial aux Affaires Foncières du Ministère de l’Agriculture, Luiz Antonio Nabhan Garcia, ancien président de l’Union Démocratique Rurale (UDR), lié aux milices rurales qui ont semé la terreur dans la région de Pontal do Paranapanema (SP) entre 1990 et 2000.
Marcelo Xavier e Nabhan Garcia: articulation contre des indigènes enregistrée en vidéo
(Crédit photo: Réproduction)
Dans une vidéo publiée sur son compte Facebook, et reprise par le site de la FUNAI, Nabhan décrète la fin de la « sale liste de la SIGEF ». Au côté de Xavier – et en utilisant un chant Guarani comme fond sonore – le ruraliste prétend que l’identification [*comme étant des terres indigènes, NDT] des propriétés rurales qui chevauchent des zones actuellement en processus de démarcation serait « illégale et discriminatoire », et font partie d’une « question idéologique et politique des gouvernements passés » pour qualifier d’indigènes des zones qui n’avaient jamais été d’occupation traditionnelle.
« Nous travaillons y compris avec le Congrès afin de produire une nouvelle législation qui apporte la sécurité juridique », a déclaré le secrétaire d’État, reprenant la thèse utilisée par Jair Bolsonaro pour défendre le gel des démarcations. « L’Indien est un citoyen brésilien comme nous tous », ajoute-t-il.
L’intérêt de Nabhan pour les terres indigènes est ancien, comme le prouve ce reportage publié en 2018, après l’élection de Bolsonaro : « Le beau-père de Nabhan Garcia a acheté 67000 hectares de terres indigènes dans le Mato Grosso dans les années 1980 ».
DANS UNE VIDÉO, LE PRÉSIDENT CONFOND LES ATTRIBUTIONS DE LA FUNAI
Dans un article paru vendredi dernier (24 avril, NdT), Juliana de Paula Batista, avocate de l’Institut Socio-environnemental (ISA), souligne la relation entre l’IN 9/2020 et la « MP Grilagem » [*Décret sur l’accaparement de terres, NdT], également rédigé par les bureaux de Nabhan :
– Les envahisseurs pourront obtenir un certificat de la FUNAI attestant que la zone envahie n’est pas une Terre Indigène (TI). Ensuite, ils pourront demander la légalisation de cette invasion par l’INCRA, ce qui se fait par le biais d’un registre d’auto-déclaration, puisque les règles pour cela ont été assouplies par la mesure provisoire 910/2019, la « MP Grilagem », en cours d’étude au Congrès. Les prétendus occupants pourront ainsi autoriser tout type de travail ou d’activité, comme la déforestation et la vente de bois. Tout cela par défaut, sans la participation des Indigènes, puisque ces terres ne figurent pas à la SIGEF et que l’intéressé va disposer d’un document de la FUNAI garantissant que les limites de sa « propriété » ne sont pas en Terre Indigène homologuées.
Lorgné par le secteur hôtelier, le Territoire Tupinambá de Olivença (BA) est l’une des 237 Terres Indigènes affectées par la mesure.
(Crédit photo : Mobilização Nacional Indígena)
L’amnistie générale et sans restriction proposée par Nabhan Garcia est approuvée par le président de la FUNAI. « Le rôle de la FUNAI en tant qu’institution pour la défense de la légalité et des intérêts des indigènes, est celui de respecter la Constitution Fédérale, le droit à la propriété et de donner de la dignité aux indigènes », déclare Xavier. « Avec cette norme, nous allons essayer de minimiser les conflits dans nos campagnes. C’est une forme de pacification entre les indigènes et les non-indigènes ».
« Si cela continue ainsi, la FUNAI se transformera en cabinet notarial » (Juliana Batista, avocate de l’ISA) »
En plus de créer une nouvelle attribution – la défense du droit de propriété – qui n’existe pas dans le statut de la FUNAI, le discours de Xavier contredit les données sur les conflits dans les campagnes présentées par la Commission Pastorale de la Terre, qui montrent une augmentation des conflits en raison du retard dans les processus de démarcation, celui-ci étant une incitation à l’action des envahisseurs et des accapareurs des terres. En 2019, une famille sur trois des victimes des conflits dans les campagnes était indigène.
Pour l’avocate de l’ISA, le président de la FUNAI, sous prétexte d’« édition d’actes normatifs internes » a décidé unilatéralement d’effacer les garanties fondamentales prévues par la Constitution pour l’approbation des titres, des possessions et des invasions des terres indigènes. « Si cela continue ainsi », décrit Juliana, « la FUNAI deviendra en même temps un office notarial d’enregistrement d’immeubles privés et une morgue indigène ».
NABHAN MANOEUVRE POUR RENVERSER LA MINISTRE
La confusion dans les attributions de la FUNAI n’est pas le seul hors-jeu de Marcelo Xavier dans la vidéo. Interrogé par Nabhan Garcia, le président de l’organisme indigéniste répond : « Parfait, Monsieur le Ministre ! ».
Cette confusion des positions n’est pas le fruit du hasard. D’après une dépêche parue dans le BR Político, Nabhan est en « campagne explicite » pour remplacer la ministre de l’agriculture, Tereza Cristina. Elle est devenue ces dernières semaines la nouvelle cible du « cabinet de la haine » dirigé par le conseiller municipal [*de Rio de Janeiro, NDT], Carlos Bolsonaro (Republicanos-RJ), le 02, fils du président.
Photo: Rapport trouble entre Tereza Cristina et Bolsonaro
(Crédit photo : Valter Campanato/ Agência Brasil)
La raison alléguée pour renvoyer la ministre serait sa tentative de minimiser la crise diplomatique avec la Chine, principal marché des exportations agricoles brésiliennes, déclenchée après des publications hostiles par des membres de l’aile idéologique du gouvernement Bolsonaro.
Tereza Cristina, pivot de l’appui du Front Parlementaire de l’Agriculture (FPA) à la candidature de Jair Bolsonaro, aurait reçu l’ordre de son parti, le DEM, de quitter le gouvernement à la suite de la démission de l’ancien ministre de la Justice, Sergio Moro. Un autre ministre renvoyé, Henrique Mandetta, également membre du DEM du Mato Grosso do Sul, est aussi un homme politique lié au FPA.
© De Olho Nos Ruralistas, 28 avril 2020, traduit du portugais par Brunna Guarani-Kaiowa, relu par Arkan Simaan – Article original