L’étude intitulée “Perte prononcée de la résilience de la forêt amazonienne depuis le début des années 2000” s’intéresse essentiellement au rôle capital de l’Amazonie sur le climat. La plus grande forêt du monde retiendrait environ 90 milliards de tonnes de dioxyde de carbone, dans ses arbres et dans son sol, ce qui représente plusieurs années d’émissions mondiales de CO2.
Une perte de résilience synonyme de dégradation majeure de la forêt
Trois chercheurs de l’université d’Exeter, au Royaume-Uni, de l’Institut de recherche sur les impacts climatiques à Postdam et l’université technique de Munich, en Allemagne, ont étudié le phénomène de résilience de l’Amazonie, c’est-à-dire sa “capacité à retrouver un état stable après des perturbations telles que des événements climatiques ou des sécheresses”.
Selon leurs conclusions, 75% de la forêt amazonienne semblent montrer une perte de résilience, plus particulièrement dans les zones les plus sèches et où l’activité humaine est la plus intense, autrement dit au sud-est de la forêt, une zone correspondant au Brésil.
Cette perte de résilience est synonyme d’une transformation radicale du climat sur le continent sud américain tel que l’explique le mathématicien et géographe Chris Boulton : “à partir du moment où nous voyons que la résilience disparaît plus rapidement à la suite des épisodes de sécheresse, on peut supposer que plus la région s’asséchera, plus de dioxyde de carbone sera libéré dans l’atmosphère et plus nous aurons une augmentation de la température à l’échelle globale, qui elle-même pourra provoquer plus d’épisodes d’incendies et de sécheresse”.
L’étude de la résilience de la forêt amazonienne permet en outre aux chercheurs d’avancer différentes conclusions sur l’état général de la forêt.
L’Amazonie, une savane en devenir ?
Niklas Boers, physicien associé à l’Institut de recherche sur les impacts climatiques à Postdam, affirme que “ces résultats combinés avec les projections du GIEC, qui prévoient moins de précipitations dans les prochaines décennies, signifient que les impacts pourraient être encore plus graves que prévu”. Selon eux, le point de bascule de transformation de la forêt tropicale en une savane pourrait être bien plus proche que ce qui est actuellement envisagé par la communauté scientifique.
La perte de résilience de la forêt tropicale pourrait, selon les chercheurs, dérégler le cycle de l’eau unique de l’Amazonie, parfois qualifié de “rivières volantes”. En effet, le climatologue brésilien, Antonio Donato Nobre, qui intervient dans le film Terra Libre produit par Gert-Peter Bruch et réalisé par Planète Amazone, a mis en évidence le fait que le bassin amazonien produisait une humidité constante grâce à l’évapotranspiration des arbres qui émettent, chaque jour, jusqu’à 20 milliards de tonnes de vapeur d’eau.
Tim Lenton, titulaire de la chaire sur le changement climatique et les sciences du système terrestre à l’université d’Exeter, explique qu’il est “extrêmement compliqué de prédire une date précise de cette transition de forêt en savane, car le phénomène implique les arbres, les fleuves, l’océan et le climat global” mais les chercheurs estiment tout de même que “les changements dans la forêt tropicale amazonienne seront plus rapides qu’ailleurs”.
Ce passage à l’état de savane, qui interviendra en premier lieu dans les zones les plus sèches de l’Amazonie, aura des effets qui se propageront à d’autres parties de la forêt en un temps que les scientifiques sont pour le moment incapables de déterminer.
Les auteurs de l’étude soulignent qu’il existe néanmoins “une fenêtre d’opportunité”, courte et étroite, face à la situation de la forêt amazonienne. Les chercheurs rappellent que ce point de basculement ne s’est pas encore produit et qu’il est donc encore temps d’agir pour limiter au maximum les dégâts à venir.
La lutte contre la déforestation est l’un des éléments clés permettant d’améliorer la capacité de résilience de la forêt, à la fois dans les zones déjà dégradées, dans le sud-est du territoire amazonien, mais également dans celles qui sont encore préservées, dans le nord et le nord-ouest.
Source : Le Monde, La capacité de régénération de l’Amazonie mise à mal par le dérèglement climatique