La Chine, meilleure alliée de Bolsonaro pour une exploitation prédatrice de l’Amazonie ?


Les ressources naturelles de l’Amazonie attisent les convoitises des grandes puissances étrangères et font de la région un lieu d’influences géopolitiques. Alors que les Etats-Unis et l’Europe jouissent d’une position d’exploitation privilégiée dans la région, un nouvel acteur a émergé au cours des dernières décennies : la Chine. Le poids économique de Pékin, de part les importations de minerais et de produits agricoles ainsi que les investissements massifs dans les infrastructures, confère à la Chine une influence croissante dans la région.


Le président brésilien Jair Bolsonaro, reçu par le président chinois Xi Jinping, à Beijing, le 25 octobre 2019.
Photo : Isac Nóbrega/PR

Alors que les contestations internationales liées aux impacts sociaux et environnementaux toujours plus conséquents d’une politique exagérément productiviste font peser le risque d’une remise en cause des traités commerciaux, les échanges économiques entre la Chine et le Brésil se sont fortement accrus. Une situation qui entrave l’action des défenseurs de l’environnement et des populations indigènes et qui confère l’opportunité au gouvernement de Bolsonaro de maintenir sa politique actuelle.

 

La Chine, un partenaire commercial primordial pour le Brésil

L’économie brésilienne dépend fortement de ses exportations, notamment celles de l’agro-business. Une situation favorisée par l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro en 2019, soutenu par les lobbys de ce secteur, qui a manifesté à plusieurs reprises sa défiance à l’égard des questions environnementales et sa volonté de privilégier le développement économique du pays. Cette politique a engendré une dégradation continue des conditions environnementales (déforestation, mise sur le marché de nouveaux pesticides toxiques) et sociales, notamment pour les populations indigènes dont la survie est menacée.

La demande de produits brésiliens responsables de la déforestation, principalement celle de soja et de viande bovine, a été renforcée suite à la guerre commerciale opposant les Etats-Unis et la Chine. Premier importateur mondial de soja, la Chine s’est en effet tournée vers la production brésilienne, les exportations de soja du Brésil atteignant ainsi un record de 68,6 millions de tonnes en 2018.

Les exportations du Brésil vers la Chine connaissent une croissance exponentielle ces dernières années

 

Un partenariat économique a été acté suite à la première visite de Jair Bolsonaro auprès de son homologue chinois en 2019, un document conjoint ayant établi la volonté des deux pays de « promouvoir une croissance bilatérale diversifiée des exportations agricoles » à travers des accords douaniers et entre les autorités en charge de l’agriculture dans les deux pays »1.

 

Les ressources environnementales convoitées du Brésil

La richesse environnementale du Brésil n’est pas seulement victime de la prédation des industriels nationaux mais attise également l’appétit des pays étrangers. Que ce soit dans l’exploitation des terres par l’agrobusiness ou bien l’extraction des ressources minières2 et hydrauliques, la Chine exerce un rôle croissant en qualité d’importateur ou d’investisseur.

La demande croissante de soja conduit les géants de l’agrobusiness à étendre leurs exploitations, au prix d’une déforestation mortifère. Les investissements chinois sont primordiaux pour les acteurs de ce secteur, des milliards ayant été prêtés ou investis par des banques et des investisseurs ressortissants dans des entreprises liées à la déforestation brésilienne3.

Le défrichage des terres pour le pâturage est également dénoncé comme le principal moteur de déforestation des biomes amazoniens et du Cerrado (savane). Le Brésil a autorisé l’an passé 22 nouvelles usines de transformation de viandes pour l’exportation, dont 14 dans la seule région de l’Amazonie, poussé par les importations chinoises (en hausse de 50% en un an). Plus de 70% de la viande exportée vers la Chine en 2017 était ainsi produite dans la région de l’Amazonie et dans celle du Cerrado. Cette région, qui regroupe 5% de la biodiversité mondiale, a ainsi perdu près de la moitié des forêts habitées par les peuples indigènes, menaçant la préservation de la biodiversité et la survie des peuples locaux4.

La dépendance de l’économie chinoise aux minerais constitue également un débouché précieux pour les exploitants brésiliens. Le Brésil a récemment été frappé par deux tragédies avec l’effondrement du barrage de Brumadhinho survenu en 2019 et celui de Mariana quatre années auparavant dans l’État du Minas Gerais. Alors que les indemnisations promises aux populations se font attendre et que la région demeure ravagée par les conséquences des écoulements de boues empoisonnées, l’entreprise minière Vale a vu son cours boursier se relever5 grâce à la demande chinoise. Suite à ces catastrophes, les investisseurs se sont mobilisés pour responsabiliser les groupes miniers, notamment autours de la question des barrages de résidus. Ces efforts demeurent cependant phagocytés par la perspective de profits croissants engendrée par la hausse des cours boursiers, soutenue par la forte demande chinoise.

Grâce à l’Amazonie, le Brésil disposerait en outre de ressources de terresrares parmi les plus convoitées, notamment le Niobium17 (89% des réserves mondiales). Concentré dans la région « Cabeça de Cachorro », ce métal est notamment utilisé pour la protection des satellites et des fusées, une donnée considérable dans la stratégie chinoise de développement spatial. Premier exportateur de terres rares, la Chine tente de créer un monopole sur leurs composés et lorgne sur les ressources brésiliennes6. Cette position dominante leur confère en effet un avantage crucial dans le développement des nouvelles technologies et dans l’industrie militaire, primordial dans la compétition tendue les opposant aux Etats-Unis.

Afin d’amplifier son emprise dans la région, la Chine a noué en 2019 un partenariat de surveillance satellitaire avec le Brésil dans le but d’étudier l’évolution de la forêt amazonienne7. Le satellite CBERS-4A, spécialement conçu pour des applications agricoles et environnementales, constitue pour les opposants aux projets un levier pour les Chinois de disposer d’une vision des ressources minières du Brésil et d’accroître ses exploitations dans le pays.

 

Les conséquences sur les populations indigènes

Afin de favoriser l’acheminement des ressources au sein du territoire, la Chine finance des infrastructures de transport entre l’Amazonie et le Cerrado8 qui menacent les terres indigènes. Le Brésil s’inscrit ainsi dans le projet de « Nouvelles routes de la soie » initié en 2014 et qui vise à recréer l’antique route de la soie chinoise et à favoriser l’acheminement des ressources vers le pays.

Les entreprises chinoises ont profité du scandale de corruption « Lava Jato » qui a fortement impacté les entreprises du secteur de la construction brésiliens afin de renforcer leur emprise sur les infrastructures de transport. La Chine a ainsi racheté le port de Sao Luis et vise à créer des routes alternatives concurrentes au canal de Panama, perçu comme étant sous domination américaine. Le projet de « Transcontinental Railway», annoncé en 2015, devrait relier le pays au Pérou via l’Amazonie et relier ainsi l’océan Pacifique et l’océan Indien. Les défenseurs de l’environnement et des populations indigènes redoutent les conséquences de ce projet sur des espaces protégés et les territoires indigènes.

(Image de Mauricio Torres)9

Une alliance de circonstance

Face aux critiques croissantes à l’égard de la situation environnementale et sociale au Brésil, Bolsonaro dispose à travers la Chine d’un partenaire économique idoine. En effet, Pékin se préoccupe uniquement de ses intérêts économiques et n’aspire pas à interférer dans la politique intérieure brésilienne. La sphère civile étant muselée, le pouvoir n’a pas à se préoccuper du caractère « éthique » de ses échanges, contrairement aux pays européens qui se voient contraints de formuler, assez hypocritement, des critiques à l’égard de la gestion de Bolsonaro (tout en ratifiant des accords économiques avec ce dernier, à l’image du traité entre l’Union Européenne et le Mercosur).

Dans le cadre du conflit économique et politique l’opposant aux Etats-Unis, la Chine peut réduire sa dépendance à l’égard des importations américaines et canaliser un éventuel rapprochement entre les deux géants économiques du continent américain. Sa fragilité économique rendant le Brésil dépendant de ses exportations, la Chine dispose de moyens de pression et de contrôle importants sur le géant d’Amérique du Sud en qualité de partenaire économique incontournable.

Alors que des tensions avaient vu le jour entre les deux pays suite aux accusations portées par Bolsonaro quant à la gestion du Covid19 par Pékin, la Chine avait répliqué en menaçant de réduire ses importations de soja. Un rapport de force assimilé par le leader d’extrême-droite brésilien, qui avait mis de coté ses diatribes « trumpiennes » de campagne à l’encontre de la Chine une fois arrivé au pouvoir.

 

Prédation par la dette

Les investissements chinois dans la région engendrent une dépendance et un endettement croissants à l’égard de la Chine, permettant à cette dernière d’influer sur les politiques gouvernementales. Le gouvernement équatorien tente ainsi d’accroître la production pétrolière dans la région amazonienne afin de rembourser ses prêts10, faisant peser le risque d’une « prédation par la dette » similaire à celle à l’œuvre en Afrique. Alors que l’Amazonie est devenue un enjeu mondial, le risque d’une ingérence croissante de Pékin dans la région et d’un affrontement de superpuissances constitue une menace supplémentaire pour les défenseurs de l’environnement et des populations indigènes.


Notes :

1https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20191025-bresil-chine-sous-bolsonaro-mariage-raison
2 – Le Brésil dispose de ressources minières très variées (bauxite, fer, niobium) et qui représentent près de 50% des exportations brésiliennes actuelles.
3https://www.forbes.com/sites/kenrapoza/2019/06/06/in-brazil-bolsonaros-deforestation-might-as-well-be-chinas/
4https://dialogochino.net/en/agriculture/35891-major-brazilian-suppliers-of-beef-to-china-linked-to-deforestation-says-new-report/
5https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/bresil-un-an-apres-leffondrement-du-barrage-le-geant-du-fer-toujours-sous-pression-1167235
6https://www.reuters.com/article/us-brazil-election-china-niobium/hands-off-brazils-niobium-bolsonaro-sees-china-as-threat-to-utopian-vision-idUSKCN1MZ1JN
7https://www.agrotic.org/news/linstitut-national-de-recherche-spatiale-du-bresil-inpe-lance-ses-propres-satellites-dobservation-de-la-terre/
8 et 9https://news.mongabay.com/2018/11/china-increasingly-involved-in-brazils-ambitious-amazon-rail-network/
10https://www.courrierinternational.com/article/environnement-lequateur-pourrait-il-vendre-son-amazonie-la-chine


écrit par Arthur Depierre pour Planète Amazone



Mis a jour le 2024-03-23 14:49:41

Haut de page

A la une

Au Brésil, Ailton Krenak dev...
le premier membre indigène d...

La Suisse reconnue coupable
de violations des droits hum...

QUAND NOTRE PROCHAIN FILM re...
la lutte contre le traité UE...

Entre soja et savane brésili...
que choisira l’Europe ?

à la COP 28 et à l'ONU, Plan...
pour faire résonner la voix ...

Au Brésil, CONTRE UN PROJET ...
action commune des INDIGèNES...

Bilan de l'année 2023 au Bré...
Victoires et défaites des pe...

Rencontre avec Appolinaire O...
Gardien des forêts sacrées a...

Nouveau roman d'Arkan Simaan
En soutien aux indigènes d'A...

Avant-première spéciale à Br...
Découvrez 'Amazonia, Cœur de...

Démarcation de la terre de R...
La bataille juridique contin...

Au Congrès brésilien
Les droits des indigènes sab...

Sécheresse catastrophique au...
Le nord du pays ravagé

Forum mondial Normandie pour...
Retrouvez l'intervention de ...

Territoire du Kapot-Nhinore
Les agriculteurs contre la d...

Hommage à Rosita Watkins
L'amie des peuples indigènes...

Arrestation du cacique Valdi...
Les Guarani-Kaiowás sont att...

Crise humanitaire au Brésil
Les Yanomamis continuent de ...

Grande Assemblée du cacique ...
Planète Amazone en terre kay...

London Climate Action Week
Notre nouveau film en avant-...

Déforestation au Cerrado
Les ravages de la multinatio...

Planète Amazone au Brésil
Notre mission Terre Libre 20...

L'ancien président condamné...
Bolsonaro : toujours dangere...

Collecte de fonds pour ATL 2...
Rassemblement fin avril à Br...

La démarcation : une nécessi...
Pour les peuples et la natur...

Nouveau rapport du GIEC
l’humanité au bord du précip...

Planète Amazone à la COP15
Quelles actions face à la 6 ...

#CarrefourNousEnfume
Le message filmé de Kretã Ka...

Changement climatique
Notre COP27

Un film, 3 versions, 6 langu...
Le DVD de Terra Libre (enfin...

Démarcation des terres indig...
Victoire pour les Nambikwara...

Reconnaissance du crime d'éc...
La Belgique, bon élève europ...

Double meurtre en Amazonie
Justice pour Dom et Bruno

2012 - 2022
Planète Amazone, 10 ans d'ac...

Les 4 épisodes en replay
"Protégeons l'Amazonie"

Signez la pétition
Amazonie : stop au double-je...

TERRA LIBRE
Regardez toutes les vidéos d...

Connaître Planète Amazone
Lire notre historique

Soutenez Planète Amazone
Faites un don mensuel ou pon...

Actus

Agenda

[Agenda]
20 février 2024
Bruxelles : projection en avant-première de “Amazonia, Cœur de la Terre Mère” en résista...
Lire la suite

[Evénements publics]
30 novembre 2023 - 07 décembre 2023
Une délégation de Planète Amazone à la Cop 28 à Dubaï
Lire la suite

[Projections - Terra Libre]
16 novembre 2023
Projection-débat du film Terra Libre et rencontre avec Appolinaire Oussou Lio, chef du peuple T...
Lire la suite

[Evénements publics]
14 octobre 2023 - 21 avril 2024
L'art brésilien mis en lumière par l'exposition "Brésil, identités"
Lire la suite

[Projections - Terra Libre]
15 juin 2023
Projection/débat du film Terra Libre au cinéma Sirius
Lire la suite

[Projections - Terra Libre]
05 mai 2023
Projection/débat du film Terra Libre au cinéma Apollo
Lire la suite

Tout l'agenda

Vidéos récentes

14 April 2023
L’appel de Pierre Richard en soutien à un grand rassemblement de peuples indigènes au Brésil

9 December 2022
Interview du cacique Kretã, du peuple Kaingang

3 June 2022
Message du cacique Raoni #STOPECOCIDE

9 November 2021
COP26 : Le Cacique Ninawa et Mindahi Bastida dénoncent les fausses solutions de nos dirigeants

9 November 2021
COP26 : Mindahi Bastida appelle à l’action, maintenant !

9 November 2021
Ouverture de la COP26 : l'hommage de Tom Goldtooth à un chef défunt.

  Accéder à la chaine vidéo

Newsletter

Rejoignez les Gardiens de la Terre