Alors que les contestations internationales liées aux impacts sociaux et environnementaux toujours plus conséquents d’une politique exagérément productiviste font peser le risque d’une remise en cause des traités commerciaux, les échanges économiques entre la Chine et le Brésil se sont fortement accrus. Une situation qui entrave l’action des défenseurs de l’environnement et des populations indigènes et qui confère l’opportunité au gouvernement de Bolsonaro de maintenir sa politique actuelle.
La Chine, un partenaire commercial primordial pour le Brésil
L’économie brésilienne dépend fortement de ses exportations, notamment celles de l’agro-business. Une situation favorisée par l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro en 2019, soutenu par les lobbys de ce secteur, qui a manifesté à plusieurs reprises sa défiance à l’égard des questions environnementales et sa volonté de privilégier le développement économique du pays. Cette politique a engendré une dégradation continue des conditions environnementales (déforestation, mise sur le marché de nouveaux pesticides toxiques) et sociales, notamment pour les populations indigènes dont la survie est menacée.
La demande de produits brésiliens responsables de la déforestation, principalement celle de soja et de viande bovine, a été renforcée suite à la guerre commerciale opposant les Etats-Unis et la Chine. Premier importateur mondial de soja, la Chine s’est en effet tournée vers la production brésilienne, les exportations de soja du Brésil atteignant ainsi un record de 68,6 millions de tonnes en 2018.
Les exportations du Brésil vers la Chine connaissent une croissance exponentielle ces dernières années
Un partenariat économique a été acté suite à la première visite de Jair Bolsonaro auprès de son homologue chinois en 2019, un document conjoint ayant établi la volonté des deux pays de « promouvoir une croissance bilatérale diversifiée des exportations agricoles » à travers des accords douaniers et entre les autorités en charge de l’agriculture dans les deux pays »1.
Les ressources environnementales convoitées du Brésil
La richesse environnementale du Brésil n’est pas seulement victime de la prédation des industriels nationaux mais attise également l’appétit des pays étrangers. Que ce soit dans l’exploitation des terres par l’agrobusiness ou bien l’extraction des ressources minières2 et hydrauliques, la Chine exerce un rôle croissant en qualité d’importateur ou d’investisseur.
La demande croissante de soja conduit les géants de l’agrobusiness à étendre leurs exploitations, au prix d’une déforestation mortifère. Les investissements chinois sont primordiaux pour les acteurs de ce secteur, des milliards ayant été prêtés ou investis par des banques et des investisseurs ressortissants dans des entreprises liées à la déforestation brésilienne3.
Le défrichage des terres pour le pâturage est également dénoncé comme le principal moteur de déforestation des biomes amazoniens et du Cerrado (savane). Le Brésil a autorisé l’an passé 22 nouvelles usines de transformation de viandes pour l’exportation, dont 14 dans la seule région de l’Amazonie, poussé par les importations chinoises (en hausse de 50% en un an). Plus de 70% de la viande exportée vers la Chine en 2017 était ainsi produite dans la région de l’Amazonie et dans celle du Cerrado. Cette région, qui regroupe 5% de la biodiversité mondiale, a ainsi perdu près de la moitié des forêts habitées par les peuples indigènes, menaçant la préservation de la biodiversité et la survie des peuples locaux4.
La dépendance de l’économie chinoise aux minerais constitue également un débouché précieux pour les exploitants brésiliens. Le Brésil a récemment été frappé par deux tragédies avec l’effondrement du barrage de Brumadhinho survenu en 2019 et celui de Mariana quatre années auparavant dans l’État du Minas Gerais. Alors que les indemnisations promises aux populations se font attendre et que la région demeure ravagée par les conséquences des écoulements de boues empoisonnées, l’entreprise minière Vale a vu son cours boursier se relever5 grâce à la demande chinoise. Suite à ces catastrophes, les investisseurs se sont mobilisés pour responsabiliser les groupes miniers, notamment autours de la question des barrages de résidus. Ces efforts demeurent cependant phagocytés par la perspective de profits croissants engendrée par la hausse des cours boursiers, soutenue par la forte demande chinoise.
Grâce à l’Amazonie, le Brésil disposerait en outre de ressources de terresrares parmi les plus convoitées, notamment le Niobium17 (89% des réserves mondiales). Concentré dans la région « Cabeça de Cachorro », ce métal est notamment utilisé pour la protection des satellites et des fusées, une donnée considérable dans la stratégie chinoise de développement spatial. Premier exportateur de terres rares, la Chine tente de créer un monopole sur leurs composés et lorgne sur les ressources brésiliennes6. Cette position dominante leur confère en effet un avantage crucial dans le développement des nouvelles technologies et dans l’industrie militaire, primordial dans la compétition tendue les opposant aux Etats-Unis.
Afin d’amplifier son emprise dans la région, la Chine a noué en 2019 un partenariat de surveillance satellitaire avec le Brésil dans le but d’étudier l’évolution de la forêt amazonienne7. Le satellite CBERS-4A, spécialement conçu pour des applications agricoles et environnementales, constitue pour les opposants aux projets un levier pour les Chinois de disposer d’une vision des ressources minières du Brésil et d’accroître ses exploitations dans le pays.
Les conséquences sur les populations indigènes
Afin de favoriser l’acheminement des ressources au sein du territoire, la Chine finance des infrastructures de transport entre l’Amazonie et le Cerrado8 qui menacent les terres indigènes. Le Brésil s’inscrit ainsi dans le projet de « Nouvelles routes de la soie » initié en 2014 et qui vise à recréer l’antique route de la soie chinoise et à favoriser l’acheminement des ressources vers le pays.
Les entreprises chinoises ont profité du scandale de corruption « Lava Jato » qui a fortement impacté les entreprises du secteur de la construction brésiliens afin de renforcer leur emprise sur les infrastructures de transport. La Chine a ainsi racheté le port de Sao Luis et vise à créer des routes alternatives concurrentes au canal de Panama, perçu comme étant sous domination américaine. Le projet de « Transcontinental Railway», annoncé en 2015, devrait relier le pays au Pérou via l’Amazonie et relier ainsi l’océan Pacifique et l’océan Indien. Les défenseurs de l’environnement et des populations indigènes redoutent les conséquences de ce projet sur des espaces protégés et les territoires indigènes.
(Image de Mauricio Torres)9
Une alliance de circonstance
Face aux critiques croissantes à l’égard de la situation environnementale et sociale au Brésil, Bolsonaro dispose à travers la Chine d’un partenaire économique idoine. En effet, Pékin se préoccupe uniquement de ses intérêts économiques et n’aspire pas à interférer dans la politique intérieure brésilienne. La sphère civile étant muselée, le pouvoir n’a pas à se préoccuper du caractère « éthique » de ses échanges, contrairement aux pays européens qui se voient contraints de formuler, assez hypocritement, des critiques à l’égard de la gestion de Bolsonaro (tout en ratifiant des accords économiques avec ce dernier, à l’image du traité entre l’Union Européenne et le Mercosur).
Dans le cadre du conflit économique et politique l’opposant aux Etats-Unis, la Chine peut réduire sa dépendance à l’égard des importations américaines et canaliser un éventuel rapprochement entre les deux géants économiques du continent américain. Sa fragilité économique rendant le Brésil dépendant de ses exportations, la Chine dispose de moyens de pression et de contrôle importants sur le géant d’Amérique du Sud en qualité de partenaire économique incontournable.
Alors que des tensions avaient vu le jour entre les deux pays suite aux accusations portées par Bolsonaro quant à la gestion du Covid19 par Pékin, la Chine avait répliqué en menaçant de réduire ses importations de soja. Un rapport de force assimilé par le leader d’extrême-droite brésilien, qui avait mis de coté ses diatribes « trumpiennes » de campagne à l’encontre de la Chine une fois arrivé au pouvoir.
Prédation par la dette
Les investissements chinois dans la région engendrent une dépendance et un endettement croissants à l’égard de la Chine, permettant à cette dernière d’influer sur les politiques gouvernementales. Le gouvernement équatorien tente ainsi d’accroître la production pétrolière dans la région amazonienne afin de rembourser ses prêts10, faisant peser le risque d’une « prédation par la dette » similaire à celle à l’œuvre en Afrique. Alors que l’Amazonie est devenue un enjeu mondial, le risque d’une ingérence croissante de Pékin dans la région et d’un affrontement de superpuissances constitue une menace supplémentaire pour les défenseurs de l’environnement et des populations indigènes.
Notes :
1 – https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20191025-bresil-chine-sous-bolsonaro-mariage-raison
2 – Le Brésil dispose de ressources minières très variées (bauxite, fer, niobium) et qui représentent près de 50% des exportations brésiliennes actuelles.
3 – https://www.forbes.com/sites/kenrapoza/2019/06/06/in-brazil-bolsonaros-deforestation-might-as-well-be-chinas/
4 – https://dialogochino.net/en/agriculture/35891-major-brazilian-suppliers-of-beef-to-china-linked-to-deforestation-says-new-report/
5 – https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/bresil-un-an-apres-leffondrement-du-barrage-le-geant-du-fer-toujours-sous-pression-1167235
6 – https://www.reuters.com/article/us-brazil-election-china-niobium/hands-off-brazils-niobium-bolsonaro-sees-china-as-threat-to-utopian-vision-idUSKCN1MZ1JN
7 – https://www.agrotic.org/news/linstitut-national-de-recherche-spatiale-du-bresil-inpe-lance-ses-propres-satellites-dobservation-de-la-terre/
8 et 9 – https://news.mongabay.com/2018/11/china-increasingly-involved-in-brazils-ambitious-amazon-rail-network/
10– https://www.courrierinternational.com/article/environnement-lequateur-pourrait-il-vendre-son-amazonie-la-chine
écrit par Arthur Depierre pour Planète Amazone