En conclusion d’une marche partie depuis la place de la Bourse sous un déluge de grêle, huit dirigeants autochtones brésiliens de l’APIB (Articulation des Peuples Indigènes du Brésil) ont manifesté la mardi 12 novembre à Paris à l’appel de nombreuses organisations, dont Alerte France Brésil, Planète Amazone, Citoyens pour le Climat et Extinction Rebellion France soutenus par près d’une centaine de personnes devant le siège d’un acteur clé de la finance, BNP Paribas, pointant du doigt la responsabilité des investisseurs français en matière de violation des droits de l’homme et de destruction de l’environnement en Amazonie. Selon un rapport de l’APIB, réalisé en étroite collaboration avec l’organisation américaine Amazon Watch, plusieurs banques françaises telles que BNP Paribas et la Société Générale, financent clairement la déforestation en Amazonie et au sein d’un autre écosystème menacé, le Cerrado. Les montants de cette participation sont évalués à hauteur de plusieurs milliards d’euros et se concrétisent sous forme d’investissements, de placements et de prêts accordés à des compagnies directement liées à la déforestation, à savoir le secteur de l’industrie bovine et de l’exportation de soja.
La délégation de dirigeants indigènes de l’APIB, constituée de Sônia Guajajara, Elizeu Guarani Kaiowá, Kretã Kaingang, Nara Baré, Alberto Terena, Angela Kaxuyana, Celia Xakriabá et Dinaman Tuxá, voyage depuis le 17 octobre en Europe dans le cadre de la tournée « Sang Indigène : pas une goutte de plus », qui se prolonge jusqu’au 20 novembre à travers 12 pays et 18 villes européennes pour dénoncer l’augmentation exponentielle des terribles violations commises à l’encontre des peuples autochtones du Brésil et de l’environnement depuis l’investiture du président Jair Bolsonaro, en janvier 2019. Cette tournée appelle les dirigeants politiques et économiques européens à réagir face aux graves violations perpétrées contre les peuples indigènes et l’environnement au Brésil.
Le 1er novembre, Paulo Paulino Guajajara, un garde-forestier indigène a été abattu lors d’une embuscade par un groupe de bûcherons qui travaillait illégalement sur le territoire amazonien dont il avait la garde. Une sanglante tragédie de plus qui frappe de manière emblématique les activistes brésiliens, défenseurs de l’environnement, et des droits de l’homme.
« Nombre de compagnies européennes exploitent directement la forêt amazonienne sur nos territoires », s’insurge Sonia Guajajara, l’une des porte paroles de la APIB. « Nous ressentons déjà les effets de cette exploitation effrénée, et vous ne tarderez pas à les ressentir ici en France aussi. Les grands groupes européens doivent prendre leurs responsabilités. Tout est en jeu, la forêt amazonienne, le climat, et notre survie. Il est urgent d’agir tant qu’il en est encore temps ! » Quant au leader Kretã Kaingang, autre délégué indigène de l’APIB, il a aussi rappelé que non contente d’importer du soja et du bois tropical, la France se targue de vendre des armes au Brésil, alors que le président Bolsonaro promet de libéraliser leur utilisation « ainsi, nous mourrons davantage encore et sous des balles françaises », a-t-il affirmé.
Selon Gert-Peter Bruch, fondateur de Planète Amazone : « il est inadmissible que les institutions financières françaises puissent continuer en toute impunité leurs investissements toxiques en Amazonie ou ailleurs, alors que le président Macron se porte garant de leur rôle incontournable dans la lutte contre le changement climatique et la protection de l’environnement à travers le « One Planet summit » qu’il a créé en 2017. L’heure est grave et ne pouvons plus tolérer ce type d’impostures. Le temps de la confiance aveugle est passé, la France doit agir au plus vite et mettre en place des garde-fous. »
En avril dernier, le rapport de l’APIB a prouvé la corrélation entre les grands groupes européens et états-uniens, les banques et les négociants en soja, et l’accentuation de la crise environnementale qui sévit en Amazonie. Ce rapport a analysé les liens et les intérêts commerciaux entre les compagnies brésiliennes qui ont été condamnées en justice pour des crimes contre l’environnement en Amazonie, et les compagnies, banques, actionnaires et négociants en soja européens et nord-américains. Les évènements récents, notamment les feux de forêt incontrôlables, illustrent de plus en plus combien les intérêts des grands groupes locaux et internationaux perpétuent la déforestation, exacerbant les conflits de territoires, et l’escalade de la violence.
« Les banques et les grands groupes d’investissement jouent un rôle critique, en investissant, plaçant et souscrivant à des prêts de milliards d’euros auprès des négociants en soja et du secteur de l’industrie bovine, » indique Christian Poirier, le directeur des programmes chez Amazon Watch. « Ces financements permettent à l’agro-business non seulement de maintenir mais aussi d’étendre leurs activités, accélérant ainsi la déforestation de l’Amazonie et du Cerrado de manière vertigineuse. BNP Paribas a investi plus de 3 milliards de dollars auprès des 4 plus importants exportateurs de soja dans le monde, ainsi que dans le secteur de l’industrie bovine dans une moindre mesure. »
Ces deux activités agro-alimentaires, l’élevage bovin, et la culture du soja sont les principales causes de la déforestation au Brésil. L’élevage bovin à lui seul a conduit à 80% de la déforestation de l’Amazonie au profit de pâturages pour le bétail. Les impacts économiques et environnementaux qui en découlent ont des répercussions sur le marché international : le soja produit au Brésil représente 14,3% des exportations totales du pays, et a rapporté 31 milliards de dollars en 2017, alors que les gains générés par l’exportation de viande bovine s’élèvent quant à eux à environ 5,4 milliards de dollars. Le Brésil est le premier importateur mondial de soja et de viande bovine. Si le monde continue à soutenir un tel marché, ces industries continueront à accroître leurs profits en perpétuant l’extension brutale de leurs activités, au détriment de la protection des forêts et des droits des peuples indigènes et des communautés traditionnelles.
A l’issue de la manifestation, ponctuée de chants autochtones, le leader Elizeu Lopez du peuple Guarani Kaiowa a remis une lettre officielle de l’APIB à Bertrand Cizeau, directeur de la communication de BNP Paribas, promettant de maintenir la pression jusqu’à l’obtention d’une réponse satisfaisante. Le directeur a quant à lui proposé de se mettre à disposition de l’organisation indigène pour entamer un dialogue.
« Extinction Rebellion affirme son soutien et sa solidarité à l’APIB et aux représentants de cette délégation et soutient leurs efforts pour dénoncer le rôle joué par la finance internationale dans la destruction de la forêt amazonienne, à travers une campagne de solidarité internationale. Le génocide des populations autochtones du Brésil est réel, et c’est pourquoi nous devons joindre nos forces et s’allier dans cette lutte pour la survie. Nous, Extinction Rebellion, sommes leurs alliés non seulement au niveau international, mais également au sein de nos branches respectives”, a déclaré un porte parole d’ Extinction Rebellion France.
Les activités de la délégation de l’APIB en France ont reçu le soutien d’organisations telles que Autres Bresils, Alerte France Bresil, Weaving Ties, Extinction Rebellion France, Planète Amazone, Amazon Watch, Nature Rights Citoyens Pour le Climat Paris, parmi bien d’autres.