Le Brésil selon Dilma Rousseff : une dictature économique en guerre ouverte contre les défenseurs de l’Amazonie ?


Planète Amazone publie une tribune pour alerter le public sur la situation des peuples indigènes du Brésil de Dilma Rousseff, où leurs droits, inscrits dans sa constitution et dans certains traités internationaux qu’il a ratifié (Convention 169 de l’OIT), sont régulièrement violés. Des entreprises françaises qui participent au développement économique du Brésil sont de fait aujourd’hui complices de ces exactions.


Le Brésil défie aujourd’hui la communauté internationale en violant délibérément les droits de l’homme inscrits dans sa constitution et dans les traités internationaux qu’il a ratifié. Des entreprises françaises qui participent au développement économique du Brésil sont de fait aujourd’hui complices de ces exactions. Il faut que cesse immédiatement ces agissements qui entachent la réputation de la France, pays des droits de l’homme, et qui rangent le Brésil du côté des dictatures.

Il y a presque deux mois, le Brésil accueillait la Conférence des Nations Unies sur le développement durable à Rio de Janeiro. Déception aux yeux du monde, Rio+20 aboutit à un texte sans ambition. Le Sommet de la Terre d’il y a 20 ans est déjà loin. Les financements peinent à être débloqués, aucun pays n’a imposé son leadership pour négocier un accord à la hauteur des enjeux. L’Europe est engluée dans la crise de la zone euro, incapable de peser dans les négociations.

Pourtant Dilma Rousseff, Présidente du Brésil, alors à la tribune, déclare : “Nous sommes réunis à Rio de Janeiro pour réaliser d’ambitieux progrès, pour faire preuve de courage, pour assumer des responsabilités. Nous sommes ici car le monde exige un changement”. De belles paroles mais des actes en contradiction avec celles-ci, car depuis de nombreux mois au Brésil, dans l’Etat du Para, en pleine Amazonie et donc loin des feux des projecteurs, se déroule une guerre dont l’enjeu est la destruction d’espaces de forêts et de fleuves encore vierges et la perte des droits à la terre de ses gardiens, les peuples autochtones qui y vivent. Cette guerre, c’est la présidente du Brésil elle-même qui l’a déclaré aux populations indigènes du Xingu en imposant par la force la construction de la centrale hydroélectrique de Belo Monte, un immense complexe de barrages qui, une fois construit, serait le troisième plus grand du monde.

Belo Monte est le cheval de Troie d’une exploitation irresponsable de la forêt amazonienne dont le rôle écologique et climatique est majeur pour l’humanité toute entière. Pour développer son potentiel énergétique et conforter sa place au sein du cercle privé des grandes puissances mondiales, le Brésil a décidé de construire jusqu’à 60 barrages sur les affluents amazoniens, dont l’ambition – nous dit-on – est d’approvisionner en électricité les grandes villes du sud du pays, mais dans les faits principalement des gisements miniers considérables.

Dans cette course effrénée, Belo Monte, vitrine de l’administration Rousseff, semble être la solution idéale, puisqu’il est censé, nous dit-on, produire une énergie « propre ». La réalité est toute autre : sa construction, entamée depuis un an, engloutirait au final plus de 668 km2 dont 400 km2 de forêt primaire, produisant ainsi d’énormes quantités de méthane (dont l’effet de serre est au moins 25 fois plus élevé que celui du CO²). Elle déplacerait plus de 20 000 personnes et au moins 24 peuples autochtones verraient leur mode de vie bouleversé en raison de la raréfaction des ressources vivrières : un ethnocide à court terme.

Le Brésil a pris l’engagement dès 1988 de reconnaître les territoires indigènes, de les démarquer et de les protéger. Il a été aidé pour cela par les pays du G7, par le biais du plus ambitieux programme international de protection de l’environnement jamais conçu, le PPG7, lancé officiellement lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992. Le pays a aussi pris l’engagement vis-à-vis de la Communauté internationale de consulter ces populations dès lors qu’elles pourraient être affectées par des projets sur leurs terres. Mais le complexe de barrages de Belo Monte a remis en question tous ces principes établis : les populations autochtones n’ont pas été consultées avant le démarrage des travaux. Ces états de fait sont aujourd’hui reconnus et décriés par les Nations Unies qui ont rappelé à l’ordre le Brésil dès 2009. La Commission interaméricaine des droits de l’homme, l’Organisation Internationale du Travail, la Cour fédérale brésilienne ont déjà toutes demandé au Brésil de revoir sa copie et de respecter ses engagements, en particulier celui de consulter au préalable les populations autochtones. En réponse, le Brésil pratique la politique de la chaise vide quand convoqué à Washington, il fait rapatrier son Ambassadeur et nomme les juges enjoints d’annuler tout verdict contraire à ses intérêts.

Parallèlement, la déforestation fait rage afin de laisser place à une agriculture extensive écologiquement désastreuse qui spolie les peuples autochtones de leurs droits territoriaux et met littéralement en danger leurs modes de vie ancestraux.

Espoir. Le 14 août 2012, une décision historique du tribunal régional fédéral de la 1ère région, rendue à l’unanimité des juges présents, invalide la licence des barrages hydroélectriques de Belo Monte et de Tele Pires. L’autorisation de construire donnée par le Congrès National est déclarée illégale au motif que les consultations préalables des populations indigènes affectées par le barrage n’ont pas eu lieu. L’arrêt des chantiers est exigé le jour même, sous peine d’une amende de 200 000 euros par jour. La justice, garante de la démocratie, a parlé. La nouvelle fait le tour du monde et les ONG annoncent l’événement avec la prudence de rigueur. Tous les verrous constitutionnels et juridiques censés empêcher le projet ont déjà été crochetés dans le passé par l’administration Rousseff. En sera-t-il autrement aujourd’hui après le discours de Rio +20, alors que la Coupe du Monde de Football et les Jeux Olympiques de Rio se profilent et maintenant que la mobilisation contre Belo Monte s’est mondialisée ?

Rage. Le 28 août 2012, les résistants reçoivent la confirmation qu’ils n’ont plus rien à attendre de la justice de leur pays qu’il ne leur est pas permis de se sentir à la fois indigène et pleinement brésilien dans un pays qui, après une longue expérience militaire, inaugure une nouvelle forme de dictature, habilement camouflée sous ses atours de puissance économique émergente. En effet, le Président de la Cour Suprême Ayres Britto vient d’autoriser la reprise de la construction de Belo Monte et donc de suspendre la décision du 13 août, sans aucune enquête préalable et à la demande du gouvernement brésilien. Appliquée le 23 août au soir, la paralysie du chantier, après des mois de batailles juridiques, aura duré quatre jours, dont deux ouvrés si l’on tient compte du week-end. Tout ça pour ça ? Le 4 septembre, c’est au tour du Ministère Public fédéral de demander au Président de la Cour Suprême de reconsidérer sa décision. Le procureur général de la République, Roberto Gurgel et la vice-procureur générale, Deborah Duprah rappellent que les Indiens auraient dû être consultés par le Congrès National avant le lancement des travaux de Belo Monte. Seront-ils entendus?

Pire encore, une information déconcertante jette encore un fois le trouble et rend d’autant plus suspicieuse la détermination de l’Etat brésilien : Belo Sun Mining Corporation, entreprise canadienne s’apprête à exploiter à 15 km du complexe de barrages de Belo Monte un gisement d’or nouvellement découvert. Le rapport d’impact environnemental du projet nous apprend que le plus grand projet d’exploitation d’or au Brésil sera approvisionné par… Belo Monte! La centrale hydroélectrique a-t-elle vraiment pour but de fournir les villes du Sud en énergie? Difficile à croire lorsqu’on se penche sur la dramatique histoire de l’industrialisation de l’Amazonie des quarante dernières années.

Peuples indigènes, associations et mouvements écologistes ou de protection des droits de l’Homme : tous dénoncent une mascarade. La société civile brésilienne et internationale (Movimento Gota d’Agua, Movimento Xingu Vivo Para Sempre, Avaaz, Amazon Watch, Planète Amazone…) a manifesté, pétitionné… en vain. Les travaux ont donc repris comme si de rien n’était, et dans l’indifférence quasi-générale. Et pourtant, cet événement est la marque d’un basculement du pays vers une forme d’autoritarisme économique qui n’est pas sans rappeler la Russie de Poutine ou la Chine éveillée de ce début de XXIème siècle.

Les peuples du monde jouaient leur avenir à Rio+20, les peuples indigènes jouent leur vie dans l’Etat du Para. Comme si la coupe n’était pas assez pleine, au déni de justice s’ajoute ce que l’on peut sans exagérer qualifier d’une véritable persécution du Brésil de Dilma Rousseff envers les populations indigènes du pays qu’elle dirige. Le gouvernement brésilien a émis ce mois-ci l’ordonnance 303 qui prévoit de réviser à la baisse, selon l’intérêt supérieur de l’Etat, les démarcations des terres indigènes, obtenues de haute lutte, c’est à dire de donner priorité aux projets industriels sur le droit à leur terre de ces peuples menacés. Dans un même temps, le Brésil souhaite réformer son code forestier sous l’influence du lobby des exploitants forestiers et agricoles. Même si la Présidente Dilma Rousseff y a mis un véto partiel, les modifications au Code forestier de 1965 vont permettre l’appropriation des terres autochtones par de petits exploitants agricoles qui pourront ensuite les revendre à des grandes firmes de l’agroalimentaire. Les auteurs de colonies sauvages en territoire indigène ne seront pas expropriés mais amnistiés. Un appel d’air pour tous ceux qui lorgnent sur leurs terres. Vous avez dit « preuve de courage » et « assumer ses responsabilités » ?

L’opposition à la construction du complexe de barrages de Belo Monte n’est pas un combat parmi d’autres. C’est d’ailleurs pour cela que les citoyens du monde entier sont chaque jour plus nombreux à exprimer leur indignation face à l’obstination de la présidente Dilma Rousseff à vouloir poursuivre coûte que coûte ce projet tant décrié, dont les dommages collatéraux pèseront lourd sur les générations à venir. Belo Monte est un symbole, car il s’attaque au cœur de la forêt amazonienne, le « poumon vert » de notre planète, rempart naturel contre le changement climatique, et à ses populations les plus emblématiques, dont le peuple du Cacique Kayapo Raoni, figure de proue de la lutte pour la préservation de la forêt amazonienne depuis plus de 40 ans. Un symbole, car Dilma Rousseff tente de l’imposer à un moment où l’Humanité se trouve à la croisée des chemins, alors que nous savons déjà que la destruction des environnements et écosystèmes indispensables à la vie est une voie suicidaire pour notre espèce. Un symbole, car il met brutalement en confrontation deux modèles de développement : celui de notre civilisation et celui des peuples premiers, alors qu’une cohabitation intelligente et profitable à tous est en option. Le projet Belo Monte soulève une question essentielle : quelle peut encore être la place de la nature et de la vie dans le schéma économique et sociétal de l’Homme du XXIè siècle?

Les pays développés sont complices de cette marche arrière du droit au Brésil. Nous participons activement à la violation des droits de l’homme dans ce pays en laissant des entreprises européennes signer des contrats avec l’Etat brésilien. Aujourd’hui,  AlstomGDF SuezVoith-Siemens et Andritz sont partenaires de projets de barrages en Amazonie, dont des barrages géants qui ne peuvent être considérés comme source d’énergie verte. L’Etat est parfois actionnaire de ces entreprises et investit l’argent de nos impôts dans la destruction de l’Amazonie et de ses peuples. Nous ne pouvons plus rester silencieux et attendre que le balai diplomatique onusien fasse dans l’ombre son lent et précieux travail de garde-fou.

Nous pensons que le gouvernement français à le devoir de condamner fermement l’attitude du Brésil et de dénoncer cette justice muselée au service d’un profit économique à court-terme.

Nous pensons que le gouvernement français a pour devoir de ne pas engager les deniers publics dans des projets qui bafouent les droits de l’homme et détruisent des écosystèmes irremplaçables et vitaux pour notre avenir commun.

Aujourd’hui, plus que jamais, le peuple doit prendre son destin en main. Nous, citoyens français ne devons pas oublier que nous sommes aussi citoyens européens et citoyens du monde et nous tenir prêts à boycotter des entreprises françaises, européennes et autres qui se rendent complices de tels agissements. En tant que consommateurs, nous avons par exemple la possibilité de faire des choix dans nos fournisseurs d’énergie domestique, d’exiger une traçabilité irréprochable pour le bois que nous utilisons, le soja, la viande, le cuir, l’alluminium et l’huile de palme importés d’Amazonie que nous consommons, souvent à notre insu (tous ces produits constituent les facteurs principaux de la déforestation).

Parce que la présidente Dilma Rousseff est en train de faire de la démocratie brésilienne une dictature économique qui broie l’Homme et la nature, certains appellent déjà les sportifs français à envisager un boycott de la Coupe du Monde de football de 2014 et des Jeux Olympiques de 2016, tous deux prévus à Rio de Janeiro, si la sixième puissance de la planète n’a pas changé de politique d’ici ces échéances. Nous pensons en tout cas qu’il faut prendre des mesures concrètes dès maintenant, dans notre quotidien, pour cesser notre participation à cette mise à mort programmée de l’Aamzonie et de ses peuples.

Pour que les Indiens du Brésil ne deviennent pas les Tibétains d’Amazonie, et le « Poumon de la Terre » le cancer de notre civilisation.


PLANÈTE AMAZONE – SEPTEMBRE 2012



Mis a jour le 2024-09-05 18:03:45

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