Depuis le 24 mars 2022, la Commission de justice Yoorrook, représentant les peuples indigènes de l’État de Victoria dans le sud-est de l’Australie, entame une enquête visant à la reconnaissance officielle des injustices passées et présentes qu’ont subi ces populations. Un processus long et fastidieux mais qui permet aux premières nations de faire entendre leurs voix sur les multiples violations de leurs droits de l’ère coloniale à aujourd’hui.
Une enquête pour changer le futur des premières nations d’Australie
C’est une belle avancée pour la reconnaissance des droits des peuples indigènes d’Australie : la Commission de justice Yoorrook des premières nations de l’État de Victoria a engagé dès le 24 mars 2022, Journée internationale pour le droit à la vérité, un processus d’enquête sur les injustices systémiques qu’ont vécu ces populations depuis la fin du 18ème siècle.
Indépendante du gouvernement et possédant les mêmes pouvoirs qu’une commission royale, son nom vient de “Yoo-rrook” qui signifie “vérité” dans la langue Wemba-Wemba parlée dans le nord-ouest de Victoria. Alors que des enquêtes ont déjà été menées dans le passé sur les violations des droits des aborigènes d’Australie, c’est la toute première fois qu’une commission, composée de quatre indigènes sur ses cinq membres, tentera de prouver au gouvernement la brutalité de l’histoire de ces nations depuis la colonisation. Afin de pouvoir confronter ce passé sanglant, elle utilise le concept de “rétablissement de la vérité” (“truth-telling”) qui consiste à examiner les erreurs du passé en donnant la parole aux victimes et émettre des suggestions en vue d’une réparation des injustices et d’un dédommagement. Grâce à une approche fondée sur le “traumatisme intergénérationnel”, la Commission Yoorrook se prépare ainsi à entendre des récits emplis de violence, de massacres, d’injustices, de survie, mais également de résilience, qui perdurent jusqu’à aujourd’hui.
To move forward, sometimes we have to look back.
Today is the launch of @yoorrookjc’s truth-telling process.
It will examine the racist legacies of invasion, highlight structural problems & help find the solutions.
Treaty will then deliver the change.https://t.co/HT9l2xmoMV
— First Peoples' Assembly of Victoria (@firstpeoplesvic) March 23, 2022
La Commission de justice s’est rassemblée pour la première fois à Melbourne ce jeudi 24 mars et entame depuis une visite de toutes les communautés autochtones de l’État de Victoria afin de discuter avec les plus anciens, partager leurs histoires et ainsi rassembler des preuves. Entre le 28 mars et le 22 avril, elle visitera des sites d’intérêts historiques et culturels pour les premières nations d’Australie dans le but de tenir la première audience formelle du processus le 26 avril à Melbourne. Yoorrook a un délai de trois ans pour mettre en place un dossier officiel sur les différentes expériences vécues par les indigènes depuis la colonisation et suggérer des indemnisations qui deviendront la pierre angulaire d’un nouveau traité. Un bilan intermédiaire est prévu pour le 30 juin prochain et le rapport final de l’enquête doit être remis en juin 2024.
Un processus fastidieux désiré pendant des décennies
Ce “rétablissement de la vérité” était très attendu par des peuples indigènes qui ont dû lutter depuis le début de la colonisation pour faire entendre leur voix. Eleanor Bourke, membre de la tribu Wergaia et Vice-présidente de la Commission Yoorrook, affirme :
“Si l’Assemblée des Premières Nations n’avait pas reconnu la nécessité de renforcer le traité et le revendique auprès du gouvernement, rien de tout cela ne serait arrivé. (…) Nous sommes toujours dans une structure coloniale, ou enfermés dans un système créé par d’autres personnes. Cela ne nous convient pas car tout autour de nous est lié à notre culture.”
Elle ajoute que cette enquête sera une “occasion historique” de faire entendre le véritable point de vue des aborigènes de la région de Victoria, mais également ceux de toute l’Australie et du monde entier: “Nous montrons l’exemple (…) Ils nous regardent, nos frères et nos sœurs de tous les continents. C’est pour cela que l’on m’a dit: ‘Ne ratez pas cette occasion !’”
Today, Yoorrook held its ceremonial wurrek tyerrang (hearing), marking the first public sitting of Australia’s only formal truth and justice process.
To learn more about Yoorrook, visit: https://t.co/lq7pmcKfCB #Yoorrook pic.twitter.com/jKKRueCxpn
— Yoorrook Justice Commission (@yoorrookjc) March 24, 2022
Selon Tony McAvoy, avocat-conseil des premières nations, le travail de la commission Yoorrook sera de révéler les vérités ignorées jusqu’à présent:
“Depuis le jour où le nouveau monde est arrivé ici, il n’a pas réussi à écouter. Mais les chuchotements perdurent. L’enquête ne doit pas tomber dans l’oreille d’un sourd. Des preuves seront apportées sur le racisme qui existe dans le gouvernement et le pays. Bien que certains sont dans un processus d’apprentissage, de très nombreuses personnes continuent de nier tout ce qu’il s’est passé.”
Sue-Anne Hunter, membre de la tribu Wurundjeri et Vice-présidente de la commission, est consciente que les histoires brutales sur l’oppression seront difficiles à entendre, mais elles démontreront également la force de résilience des peuples indigènes:
“Ce sont des vérités qui doivent être entendues. L’histoire de Victoria a été racontée par les oppresseurs, et une seule version mène toujours à un déséquilibre. Lorsque tu n’es pas écouté tu tombes dans la dépression, et je pense que dire la vérité est une forme de guérison qui constituera une preuve. (…) Nous devons faire cela pour notre peuple. Les futures générations n’auront pas à vivre ce que nous avons subi. Il sera plus facile pour eux de s’instruire, de trouver un emploi. Il y aura le respect, il y aura la fierté et la dignité d’être né Aborigène.”
L’enquête de la Commission de Justice Yoorrook pourrait ouvrir la voie à de nombreux changements, en s’assurant que les violations prennent définitivement fin, et marquer le début de nouvelles relations entre les premières nations de l’État de Victoria et le reste de sa population. Après tout, nous sommes tous responsables de ne pas choisir l’ignorance à propos d’un passé dont les crimes perdurent dans le temps, et faire entendre la voix de ceux qui ne l’ont jamais eu permet de réparer les injustices et ainsi former une société plus égale et inclusive.
Sources :
The Guardian : “Yoorook Justice Commission : how will truth-telling process work and what will it achieve ?”
The Canberra Times : “Vic truth-telling inquiry plans for change”
National Indigenous Television : “First Nations people in Victoria urged to help shape truth-telling process”
À lire aussi sur le site de Planète Amazone :
Guyana : Refus d’amendement de la loi sur les Amérindiens
Planète Amazone, 2012 – 2022 : dix ans à construire le futur avec les Gardiens de la Nature
Article rédigé par Anthony Cicion