par Bruce Barnaby Rubio*
Idehpucp, le 28 octobre 2020.
Le 6 octobre, dans le cadre de la 176è période de sessions de la Commission Interaméricaine des Droits Humains (CIDH), une audience thématique a été mise en place sur la situation des défenseurs indigènes de l’Amazonie péruvienne.
Les dirigeantes et les dirigeants des communautés de l’Alto Tamaya – Saweto, Unipacuyacu, Santa Clara de Uchunya et Nuevo Amanecer Hawaii – conjointement avec les dirigeants des fédérations indigènes de la région Ucayali, l’Institut de Défense Légale et Proéthique, ont expliqué le contexte dans lequel les dirigeants indigènes comme Gonzalo Pio, Arbildo Melendez, Edwin Chota, et de nombreux autres, ont été tués.
En outre, ils ont mis en évidence que les personnes comme elles vivent constamment sous la menace de la part de ceux qui sont impliqués dans des activités illégales.
Ces faits délétères se déroulent dans le cadre du conflit qui oppose les communautés indigènes de l’Amazonie, qui cherchent à protéger leur territoire et ses ressources pour survivre, et les criminels et tueurs à gage qui envahissent la région. Cependant, c’est une situation qui est du ressort de l’Etat, absent dans beaucoup de ces territoires, et de ses responsabilités essentielles.
D’un côté en effet, une fois les faits constatés, il est évident qu’il manque des moyens efficaces qui permettent l’enquête, la sanction et la réparation des délits commis, en faveur des victimes et de leurs proches. Jusqu’à ce jour, les personnes qui ont commis de tels délits n’ont pas été sanctionnés. Selon un reportage de Cuarto Poder*, un groupe d’individus accusés d’avoir assassiné un défenseur environnemental dans la région de Madre de Dios a notamment été laissé en liberté.
D’un autre côté, il n’existe pas de moyens de protection adaptés et rapides qui protègent les dirigeantes et dirigeants indigènes avant que ces événements ne se produisent. Dans de nombreuses situations, les crimes contre les défenseuses et défenseurs de l’environnement ne sont pas perpétrés de manière intempestive, mais sont le résultat de menaces continuelles. Il est impératif de prendre les moyens nécessaires qui garantissent une protection réelle de ces personnes.
« Une entreprise qui consomme des produits obtenus de manière illégale pourrait détenir un certain niveau de responsabilité dans la précarisation des droits des défenseurs de l’environnement. »
Ainsi, le système de corruption qui promeut l’existence de ces activités illégales a une incidence directe sur la précarisation des droits collectifs des peuples indigènes et installe une situation de risque permanent pour les membres de ces communautés. Ceci implique, dans de nombreux cas, la possession illégale de terrains individuels de la part d’entrepreneurs corrompus, au détriment des territoires des communautés indigènes.
Face à ce problème, l’Etat a adopté le Protocole visant à la garantie de la protection des défenseurs des droits humains, lequel rassemble une série de recommandations facilitant la création de registres de dénonciation, ou qui mettent en place des mécanismes de coordination entre les entités de l’Etat pour s’occuper de la protection de ce groupe, entre autres.
Toutefois, ces dispositions sont loin de générer des mécanismes de protection opérationnels, concrets et immédiats, nécessaires dans cette situation de vulnérabilité actuelle.
Il y a également deux autres points qui méritent d’être commentés. D’un côté, le processus d’élaboration du Plan national d’action «Entreprises et droits de l’homme » que met en oeuvre l’Exécutif a inclus la situation des défenseurs des droits humains comme une des thématiques à traiter.
Ceci est fondamental, étant donné que, dans le cadre de la diligence due par les entreprises, celles-ci doivent fiscaliser leurs chaînes de production et garantir qu’elles remplissent les conditions des normes environnementales et des droits humains. A cet égard, une entreprise qui consomme des produits obtenus de manière illégale pourrait détenir un certain niveau de responsabilité dans la précarisation des droits des défenseurs de l’environnement.
Un second point concerne le classement sans suite de l’Accord d’Escazú effectué par la commission des affaires étrangères du Congrès de la République du Pérou. Il est important de souligner que cet Accord est le premier qui reconnaît et génère des obligations générales pour les États qui le ratifient en matière de protection des défenseurs environnementaux.
Le refus du Congrès amène à se demander si les partis politiques ici représentés ont la volonté délibérée de ne pas protéger un groupe socialement fragile, ou s’il s’agit d’une décision adoptée sans connaissances suffisantes pour apprécier réellement ce qui est en jeu.
* Bruce Barnaby Rubio est titulaire d’une maîtrise en politiques publiques de la Hertie School of Governance, en Allemagne, et d’une licence en droit de la Pontificia Universidad Católica, au Pérou. Il est spécialiste des projets de politiques publiques, de leur mise en oeuvre et et de leur suivi, particulièrement en termes de droits humains et d’interculturalité. Il a auparavant travaillé au sein du Bureau du Médiateur (Defensoria del Pueblo), de l’agence allemande de coopération internationale pour le développement (GIZ), du Ministère de la Culture et du Congrès de la République.
Source : Institut des droits de l’homme de la Pontificia Universidad Católica (Idehpucp), Pérou
© Servindi, le 28 octobre 2020, traduit de l’espagnol par Sandrine Garrigos – Article original