Le 8 juin 2022, environ sept-cents agents de police tanzaniens sont arrivés dans la ville de Loliondo, au nord de la Tanzanie, entre le cratère de Ngorongoro et le parc national du Serengeti, pour démarquer de force une zone de territoire Maasaï d’environ 1500 km2 et en faire une réserve de chasse. Des événements d’une violence sans précédent, qui ont donné lieu à des protestations de la part des villageois Maasaï. Deux jours plus tard, le 10 juin 2022, les forces de l’ordre ont ouvert le feu et ont tiré sur une trentaine d’hommes et de femmes et ont blessé treize autres personnes à coup de massue.
Cette violence injustifiée et démesurée a été filmée et des vidéos ont commencé à circuler sur internet, ce qui gêne la police locale, qui fait du porte-à-porte dans les villages Maasaï pour les intimider et les inciter à supprimer ces images. Certaines personnes ont été battues et arrêtées sur de simples soupçons d’avoir publié des images. Un homme âgé de 90 ans a été violemment battu par la police car son fils avait été accusé d’avoir filmé l’altercation.
À la suite de ces violences extrêmement brutales, au moins 700 villageois Maasaï se sont enfuis dans la brousse par peur d’être arrêtés et de subir des représailles physiques ou ont traversé la frontière avec le Kenya pour obtenir de l’aide humanitaire et médicale.
Des futurs excursions de chasse en Tanzanie pour la famille royale des Emirats Arabes Unis?
Le territoire en question fait l’objet de contestation depuis de nombreuses années puisque le gouvernement tanzanien souhaiterait en faire une réserve pour le tourisme de safari ou de chasse aux trophées – ce qui provoquerait l’expulsion d’environ 70 000 Massais, répartis sur une quinzaine de villages, de leurs terres traditionnelles.
Selon l’ONG Survival International, la société Otterlo Business Corporation (OBC), qui organise des excursions de chasse pour la famille royale des Émirats arabes unis (EAU) serait amenée à terme à contrôler la chasse commerciale dans la région, et aurait des intérêts à y faire prospérer la chasse aux trophées.
En janvier 2022, John Mongella, le commissaire régional de la région d’Arusha, qui administre la ville de Loliondo, a informé les dirigeants Maasaï de la décision du gouvernement de louer une parcelle de terres de 1 500 km2 à la société OBC, qui est basée aux Émirats. Cette dernière a déjà été impliquée dans plusieurs cas d’expulsions et est accusée de tuer des espèces menacées telles que des lions et des léopards, lors de chasses au trophée. OBC n’a pas répondu à plusieurs demandes de commentaires via les réseaux sociaux, et le numéro de téléphone indiqué pour son bureau en Tanzanie n’est plus en service. Le développement économique de la Tanzanie dépend fortement du tourisme et contribue à hauteur de 17,2% au produit intérieur brut du pays et 25% de l’ensemble des recettes en devises.
Un homme a confié anonymement, par peur de représailles : “Notre gouvernement a décidé de déchaîner toute la puissance de l’armée pour nous évincer de nos terres, laissant de nombreux blessés par balles, des enfants errant dans la brousse, et nous avons décidé de dormir dans la brousse. Le gouvernement refuse de soigner les blessés. Beaucoup de gens sont sans nourriture. Et c’est notre terre ancestrale. C’est barbare de prendre nos terres pour les convertir en réserve de chasse de luxe au bénéfice des dirigeants des Émirats Arabes Unis.” Un autre témoin a ajouté “maintenant, nous comprenons que le tourisme va faire venir des gens avec de l’argent. Le gouvernement est donc en train de penser “si nous supprimons les Maasaï, plus de personnes viendront ici avec de l’argent””.
Dans un communiqué officiel diffusé le 19 juin 2022, l’Union Internationale pour la Conservation de la nature (UICN) a exprimé ses inquiétudes et a indiqué “que toute violence ou expulsion forcée des peuples autochtones et des communautés locales est totalement inacceptable et considère qu’elles constituent des violations flagrantes des droits de l’homme.” Selon l’UICN, le gouvernement tanzanien se doit de respecter l’injonction de la Cour de justice de l’Afrique de l’Est (CJE) de 2018, par rapport au conflit territorial en cours, qui décrète la suspension de toutes expulsions. L’organisation internationale a “exhorté le gouvernement tanzanien de cesser immédiatement toute forme de violence ou d’intimidation envers les Maasaï, mais également de fournir une réparation aux victimes et de mettre en place les mesures pacifiques appropriées pour reconnaître, respecter et protéger les droits des communautés Maasaï.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, se dit quant à lui, être très « préoccupés par les projets de la Tanzanie de déplacer près de 150 000 Maasaï de la zone de conservation du Ngorongoro et de Loliondo, sans leur consentement libre, préalable et éclairé, comme l’exigent le droit et les normes internationales relatives aux droits humains. “Cela causera un préjudice irréparable et serait l’équivalent d’un déplacement arbitraire, ce qui est interdit par le droit international”.
Des modèles de conservation encore très post-coloniaux
Au 19ème siècle, le territoire Maasaï couvrait presque intégralement la vallée du Grand Rif, depuis le plateau de Laikipia, au nord du Kenya, jusqu’au lac Manyara, au centre-nord de la Tanzanie. Suite à la construction de chemins de fer par les Britanniques, les Maasaï furent contraints de quitter leurs terres volcaniques fertiles et furent déportés dans des réserves. À la lumière des événements récents, ces réserves ne sont désormais plus des lieux sécurisés pour eux.
L’Allemagne, un des principaux bailleurs de fonds des projets de conservation en Tanzanie, est aujourd’hui fortement impliquée dans l’élaboration des politiques de conservation du pays, qui ont conduit à l’expulsion de milliers de semi-nomades. La Société zoologique de Francfort finance des gardes forestiers et des agents de protection de la nature, dont certains auraient été impliqués dans les dernières expulsions.
Fiore Longo, responsable de recherche et de plaidoyer à Survival International, le mouvement mondial pour les peuples autochtones, a dénoncé “une catastrophe humanitaire, qui révèle le vrai visage de la conservation”, en expliquant comment de nombreux Maasaï ont également été expulsés du Serengeti en 1959 par les fonctionnaires coloniaux britanniques, d’une façon très similaire à celle d’aujourd’hui.
Cela pose la question de la façon dont nous allons sortir de cette attitude colonialiste envers des cultures différentes, en plus des dérives des politiques de conservation sur le continent africain où se produisent “des violations quotidiennes des droits humains des peuples autochtones et des communautés locales pour que les “riches” puissent chasser et faire des safaris”. Survival International dénonce également “des abus […] systémiques qui font partie intégrante du modèle dominant de conservation fondé sur le racisme et le colonialisme.”
Sources :
Survival International : Tanzania: Thousands of Maasai flee into the bush after dozens shot and detained following evictions for trophy hunting and conservation
Survival International : Maasai
Mongabay : Maasai protesters shot, beaten as Tanzania moves forward with wildlife game reserve
The Guardian : Tanzania charges 20 Maasai with murder after police officer dies during protests
IUCN : IUCN Statement on human rights violations in Loliondo, Tanzania
United Nations : Tanzania: More violence feared over bid to evict Maasai from ancestral lands
Article rédigé par Charlotte Girard