Mercredi 4 mai 2022, la plénière de l’assemblée constituante chilienne a approuvé et ajouté au projet de nouvelle Constitution un article sur le droit à la terre, aux territoires et aux ressources pour les peuples indigènes. L’article stipule que l’État reconnaît et garantit, conformément à la Constitution, le droit des peuples et nations indigènes à leurs terres, territoires et ressources. Il consacre le droit des peuples indigènes à utiliser les ressources qu’ils ont utilisées traditionnellement, qui se trouvent sur leurs territoires et qui sont indispensables à leur existence collective.
L’article reconnaît également que la propriété des terres indigènes bénéficie d’une protection spéciale. L’État chilien devra établir des instruments juridiques efficaces pour le cadastre, la régularisation, démarcation, titularisation, réparation et restitution des terres. L’article précise que la restitution des terres constitue un mécanisme préférable à la réparation, d’utilité publique et d’intérêt général. Ce sera l’une des mesures clés pour résoudre les conflits territoriaux opposant les peuples indigènes à des entreprises forestières et agricoles.
Autonomies Territoriales Indigènes
Une autre victoire, mardi 26 avril 2022, l’Assemblée constituante a approuvé plusieurs articles qui établissent les Autonomies Territoriales Indigènes. Ces zones seront des entités territoriales dotées d’une personnalité juridique de droit public et d’un patrimoine propre. Reconnues et garanties par l’État, elles devront disposer des pouvoirs et des financements nécessaires à l’exercice adéquat du droit à l’autodétermination. Les peuples indigènes y exerceront des droits d’autonomie, en coordination avec les autres entités territoriales.
Les autonomies territoriales indigènes seront créées par une procédure transparente définie par la loi, après un processus de participation et de consultation, sur la base d’une demande des peuples indigènes concernés, par l’intermédiaire de leurs autorités représentatives.
L’assemblée constituante a aussi approuvé la possibilité pour les communes autonomes de créer des sociétés ou d’y participer, avec l’autorisation préalable d’une loi générale ou spéciale.
Additionnellement, le caractère de territoire spécial de Rapa Nui et de l’archipel Juan Fernández a été reconnu.
La reconnaissance manquée du principe de plurinationalité
Un élément clé a toutefois été rejeté par l’Assemblée constituante : l’inscription du principe de plurinationalité dans la Constitution. Le principe d’un État chilien interculturel et plurinational est revendiqué par les peuples indigènes. Il avait précédemment été approuvé et ajouté au projet en février 2022, mais une nouvelle formulation a été rejetée lundi 2 mai par la constituante. Potentiellement en cause, la question de l’égalité de droit et de la non discrimination dans la distribution et l’exercice du pouvoir.
En effet, selon le projet, la loi établira les compétences exclusives des autonomies territoriales indigènes et celles partagées avec d’autres entités territoriales. Reste à déterminer quelles compétences seront exclusives et lesquelles seront partagées. En matière d’investissement ou de production minière par exemple, la question sera de savoir si l’autorité territoriale indigène aura le pouvoir d’approuver ou de rejeter un projet.
Concrètement, avec cette nouvelle Constitution, les peuples indigènes devraient avoir les cartes en main pour défendre efficacement leurs droits. De quoi affoler ceux qui bénéficient des inégalités actuelles, et qui pèsent de tout leur poids pour empêcher que la balance retrouve un équilibre.
L’Assemblée constituante a également rejeté un paragraphe stipulant que le régime juridique des autonomies territoriales indigènes serait en partie fondé sur les traités internationaux relatifs aux droits humains et aux droits des peuples autochtones. Cela aurait pu apporter une garantie supplémentaire pour les droits des peuples indigènes et les droits humains.
Une solution pacifique et institutionnelle aux conflits territoriaux
Ces progrès surviennent dans un contexte d’intensification des conflits territoriaux dans le sud du Chili. Incendies criminels, fusillades, grèves de la faim de prisonniers indigènes se sont multipliés ces dernières années. Ces conflits opposent depuis des décennies l’État, des entreprises forestières et agricoles et des groupes indigènes mapuches qui revendiquent leurs terres.
Comme l’a expliqué Adolfo Millabur Ñancuil, du peuple indigène mapuche, membre de l’assemblée constituante, lors du débat le 4 mai :
“Nous avons deux possibilités : soit nous approuvons un chemin sensé, institutionnel, civilisé, raisonnable, pour mettre fin au conflit des peuples indigènes, particulièrement au Wallmapu, soit nous laissons faire la chance. Nous cherchons une solution à ce problème de manière raisonnable, ou pas. (…) C’est pourquoi je demande que nous soyons responsables de l’histoire du Chili et que nous recherchions une solution pacifique.”
L’approbation de ces articles a ainsi été accueillie par beaucoup comme la base nécessaire pour refonder le rapport du Chili à son histoire avec les peuples indigènes. Rosa Catrileo, représentante du peuple mapuche et membre de l’assemblée constituante, a déclaré sur Twitter : “Aujourd’hui, nous pouvons commencer à avancer vers une solution (…) nous remercions tous les membres de la Convention qui ont accepté l’appel et la demande historique des peuples originaires.”
“Hoy día puede empezar un camino de solución (…) damos las gracias a todos los convencionales que acogieron el llamado y la demanda histórica de los pueblos originarios con esta norma”, agrega @rkatrileo, sumando que es el mayor logro de los pueblos. pic.twitter.com/cnfkJpzh8u
— ContextoFactual (@ContextoFactual) May 4, 2022
Rendez-vous le 4 septembre 2022 pour un tournant historique
Le processus de création d’une nouvelle Constitution chilienne a été entamé en 2020, suite aux manifestations massives contre les inégalités qui avaient débuté en 2019, faisant plus de 30 morts et des milliers de blessés.
L’assemblée constituante œuvre sur le projet de Constitution depuis déjà dix mois. C’est la première fois dans l’histoire du Chili que des peuples indigènes participent à sa rédaction. L’assemblée constituante compte ainsi sept membres Mapuches, deux Aymaras et un représentant pour chacun des peuples Diaguita, Quechua, Atacameño, Colla, Yagán, kawésqar, Chango et Rapa nui. Elisa Loncón, du peuple mapuche, a notamment présidé l’assemblée constituante pendant ses six premiers mois d’activité.
Il y a quelques mois, Planète Amazone saluait l’espoir apporté par l’élection de Gabriel Boric à la Présidence de la République du Chili. Boric a en effet mis en avant dans son programme les droits des peuples indigènes, la conception du territoire comme plurinational et les enjeux environnementaux. Dès le début de son mandat, il a participé à une cérémonie au palais présidentiel, en compagnie de représentants de peuples indigènes du Chili.
La nouvelle Constitution sera présentée au peuple pour approbation lors d’un référendum le 4 septembre 2022. Elle remplacera la Constitution actuelle, héritée de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990), où ne figurait aucune mention des peuples indigènes. Si elle est approuvée, en incluant les garanties pour les droits des peuples indigènes que nous avons mentionnées, elle marquera un tournant historique pour le Chili. Elle fera également mesure d’exemple et de référence pour la reconnaissance concrète des droits des peuples indigènes partout dans le monde.
Sources principales:
Swissinfo : “Chile aprueba reconocer tierras y recursos de indígenas en nueva Constitución”
Pauta : “Se incorpora al borrador de nueva Constitución que el Estado reconozca tierras a pueblos indígenas”
La Tercera : “Chile tendría “autonomías territoriales indígenas”: Convención aprueba la norma y será el Congreso el que defina todos los detalles para su implementación”
Diario Financiero : “Pleno de la Convención aprueba creación de Autonomías Territoriales Indígenas y comunas podrán crear empresas”
Diario U Chile : “Pleno de la Convención aprueba creación de Autonomías Territoriales Indígenas”
À lire aussi sur le site de Planète Amazone:
Élection du président chilien : nouvel espoir pour les peuples indigènes
Processus constituant et violence en Araucanie : deux faces d’une même pièce
Femme et mapuche : Elisa Loncón présidera la rédaction de la nouvelle Constitution du Chili
Article rédigé par Anne-Sophie Fernandes