Les fondements de l’État-nation qui ont servi à légitimer l’exclusion des peuples indigènes et leur incorporation forcée dans ses institutions sont aujourd’hui remis en cause alors que des concepts tels que la plurinationalité, l’interculturalité, l’autonomie et l’autodétermination sont en train d’émerger en tant que droits fondamentaux. Et ce, afin de refonder et établir un nouvel accord de coexistence. Cette diversité n’est pas le fruit de notre imagination. Même lorsque le peuple Mapuche a signé plus de vingt traités et parlements avec la Couronne espagnole entre 1641 et 1803, cela n’a pas fait partie de nos processus éducatifs. Même lorsque l’État naissant du Chili a signé le Traité de Tapihue en 1825, dans lequel il s’engageait à respecter la souveraineté du Wallmapu, il n’a jamais tenu parole. Et il ne l’a pas fait jusqu’à présent. Qui plus est, la représentation indigène dans l’Assemblée plurinationale est le résultat d’une lutte ancestrale, d’une lutte permanente.
Les institutions de l’État-nation chilien ont été utilisées pour légitimer son projet politique, mais aussi culturel et économique. Le 25 juin 1859, le journal El Mercurio de Valparaíso affirmait que « les Araucans ne sont ni plus ni moins qu’une horde de bêtes sauvages qu’il faut à tout prix enchaîner ou détruire dans l’intérêt de l’humanité et pour le bien de la civilisation ». Plus de 160 ans plus tard, alors que les discours racistes sont toujours d’actualité, que les préjugés ont la peau dure et que le dialogue est asymétrique, nous devons comprendre qu’il s’agit d’une dimension qui est profondément ancrée dans l’imaginaire collectif.
Depuis le milieu des années 1800, un colonialisme interne, où le contrôle territorial est un axe structurant, est légitimé et se poursuit de nos jours. La promulgation de lois de colonisation, de réduction des communautés, de « blanchiment » de titres fonciers, d’octroi de « titres de faveur » (Títulos de merced), sont tout autant de stratégies mises en œuvre en vue d’occuper et d’utiliser les terres indigènes avec une visée extractiviste. Sur les 5 millions d’hectares qui faisaient partie du territoire ancestral Mapuche, il n’en reste plus aujourd’hui que 500 000. La majorité du territoire revendiqué par les communautés Mapuche se trouve aujourd’hui entre les mains d’entreprises forestières qui possèdent presque 300 000 hectares, en grande partie obtenus par le biais du décret 701 de 1975 visant à promouvoir le développement forestier et industriel par l’installation d’entreprises papetières. Grâce à ce décret, les entreprises recevaient un bonus de 75 % pour les plantations de pins et d’eucalyptus instaurant ainsi une monoculture et mettant en danger les forêts natives.
« Le meurtre du lamngen Pablo Marchant n’est donc qu’un élément d’un tissu beaucoup plus complexe, d’une histoire non racontée, d’une stratégie devenue naturelle et ancrée, de la vie quotidienne des enfants Mapuche en territoire ancestral. Un grand nombre de ces Weichafes (guerriers) sont assassinés par l’État. Cependant, l’histoire nous offre l’opportunité d’emprunter une nouvelle voie, une voie refondatrice. Dix-sept frères et sœurs indigènes risquent leur vie pour engager le dialogue, participer, avoir un impact. »
Le territoire est la subsistance matérielle et immatérielle du peuple Mapuche, la base même de son existence, cela implique non seulement de le défendre, mais aussi d’exiger de l’État chilien sa restitution légitime dans le cadre de l’exercice de l’autonomie et de l’autodétermination, reconnues dans les articles 4 et 5 de la Déclaration des Nations unies sur les peuples autochtones de 2007.
Face au manque de volonté d’établir un dialogue symétrique entre le peuple Mapuche et l’État chilien, depuis le milieu des années 90 les stratégies visant à obtenir le contrôle territorial se sont intensifiées et diversifiées, notamment avec l’émergence de nouveaux mouvements qui clament que la seule voie possible est l’occupation de parcelles et terres revendiquées comme ancestrales. Bon nombre d’entre elles sont situées dans le Gulumapu, et notamment dans les zones de l’Araucanie et du Biobío. La réponse de l’État n’a pas été de promouvoir un dialogue politique, mais plutôt de traiter ces actions comme une affaire de sécurité intérieure, en favorisant l’augmentation des ressources et des pouvoirs des services de renseignement ou des Carabiniers du Chili, initiant ainsi un processus soutenu de militarisation.
Des concepts tels que « zone rouge » (zona roja) ou « macrozone sud » (macrozona sur) sont ainsi devenus normaux dans les médias et les discours officiels. L’application de lois spéciales telles que la loi antiterroriste (Ley antiterrorista) ou la loi de sécurité de l’État (Ley de Seguridad del Estado) est une autre stratégie largement critiquée par des organismes internationaux et par la Cour interaméricaine des droits de l’homme elle-même. Le meurtre de Camilo Catrillanca commis par des Carabiniers en novembre 2018 marque une étape importante, car il expose à la lumière du jour une opération de dissimulation et de déformation des preuves par cette institution.
Par conséquent, depuis plus de 30 ans en Araucanie l’« État » est synonyme de militarisation, car tout en étant inexistant dans d’autres domaines, il encourage l’apparition de gardes privés pour protéger le capital, l’affectation de Carabiniers pour protéger les investissements des entreprises, l’émergence d’un marché dédié au vol de bois, entre autres incitations perverses.
Le meurtre du lamngen Pablo Marchant n’est donc qu’un élément d’un tissu beaucoup plus complexe, d’une histoire non racontée, d’une stratégie devenue naturelle et ancrée, de la vie quotidienne des enfants mapuches en territoire ancestral. Un grand nombre de ces Weichafes sont assassinés par l’État. Cependant, l’histoire nous offre l’opportunité d’emprunter une nouvelle voie, une voie refondatrice. Dix-sept frères et sœurs indigènes risquent leur vie pour engager le dialogue, participer, avoir un impact. Il existe une large majorité de Chiliens qui soutiennent, comprennent et promeuvent le dialogue interculturel, qui ont confiance dans un projet plurinational, qui rêvent d’un accord qui assure le bien-être des générations futures. Le processus constituant et la violence de l’État en Araucanie sont les deux faces d’une même pièce. C’est à nous de décider sur laquelle des deux nous misons.
©elmostrador, le 15/07/2021, traduit de l’espagnol par Luisa CORREA, Article original par Verónica Figueroa Huencho