Juge dans l’État brésilien du Mato Grosso, Mirko Vincenzo Giannotte a ordonné, par voie diplomatique, l’envoi d’une commission rogatoire au président Emmanuel Macron, lui demandant des explications sur une centrale hydroélectrique enquêtée pour atteinte à l’environnement.
L’entreprise EDF accusée de négligence
Inaugurée en 2014 et en plein fonctionnement depuis 2019 sur le cours du fleuve Teles Pires, la centrale hydroélectrique de Sinop, dont le fournisseur d’énergie français EDF détient 51 % des actions, a été pointée du doigt à de nombreuses reprises pour avoir occasionné la destruction de 25.000 hectares de forêts, décimé plusieurs tonnes de poissons et contribué à l’augmentation massive des émissions de gaz à effet de serre. Le 3 avril 2022, trois organisations civiles brésiliennes ont porté plainte, accusant l’entreprise française de négligence dans la prévention d’incendies qui se sont multipliés depuis 2018 dans la zone où le barrage est implanté, près de la ville de Sinop, considérée comme une plaque tournante de l’agronégoce. Dès lors, le magistrat Mirko Vincenzo Giannotte a demandé, via une commission rogatoire, des explications à Emmanuel Macron sur le “rôle de Sinop Energia dans les impacts sur l’environnement au Brésil”. Publiée le 4 avril dernier, elle contient de nombreuses remarques très ironiques adressées au président français, “défenseur de l’environnement”, avec un “cœur si fort qui donne sans arrêt son avis sur la politique environnementale du gouvernement brésilien”.
La firme Sinop Energia, qui a assuré la construction du barrage, affirme, de son côté, avoir strictement suivi la législation brésilienne et s’être conformée à toutes les exigences de la licence environnementale approuvée par le Secrétariat d’État à l’environnement du Mato Grosso, pour l’exploitation de la centrale hydroélectrique Sinop. Elle déclare:
“L’entreprise précise qu’elle dispose d’un plan d’urgence en cas d’incendie de forêt préparé par des spécialistes, qui comprend plusieurs mesures pour contrôler et surveiller les départs d’incendie, notamment : la surveillance par les ingénieurs forestiers de Sinop Energia, avec l’aide du satellite INPE, ainsi que la préparation de rapports de gestion quotidiens ; des pompiers dûment formés pour agir en cas d’incident ; des inspections autour du barrage par voie terrestre, au bord du lac ou à l’aide d’un drone pour détecter les foyers; un programme de communication pour la population voisine à l’aide d’informations visant à sensibiliser aux risques d’incendie. Sinop Energia réaffirme son engagement envers les meilleures pratiques pour la préservation de l’environnement.”
Selon la presse brésilienne, cette action pourrait être téléguidée par Jair Bolsonaro qui entretiendrait une proximité avec le juge Mirko Vincenzo Giannotte, pressenti pour être nommé à la Cour Suprême fédérale par le président d’extrême droite.
La relation houleuse entre les présidents Emmanuel Macron et Jair Bolsonaro
Tendus depuis le tout premier jour, les rapports entre le président climato-sceptique brésilien et son homologue français se sont fortement dégradés au fil du temps. Opposés à tous les niveaux, les deux hommes se sont publiquement affrontés à de nombreuses reprises à propos des critiques sur l’augmentation des incendies et de la déforestation en Amazonie, et leur animosité n’a fait qu’empirer. Emmanuel Macron “représente l’idéologie globaliste que le bolsonarisme veut proscrire à tout prix”, explique Gaspard Estrada, directeur de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes de Sciences Po.
Jair Bolsonaro l’accuse principalement de menacer la “souveraineté” du Brésil en critiquant sa politique environnementale et d’être l’un des principaux opposants à la ratification de l’accord de libre-échange entre l’Union Européenne et le Mercosur. Il affirme respecter l’accord de Paris sur le climat à la seule condition que la France accepte cet accord commercial, ce à quoi Macron s’oppose fermement, l’accusant de mentir sur ses engagements environnementaux.
Le 22 août 2019, alors que l’Amazonie est en proie aux flammes, le président français a qualifié sur Twitter les incendies de “crise internationale”. Son homologue brésilien a immédiatement rétorqué qu’il “instrumentalisait” le débat “à des fins politiques” et que le fait qu’il discute des affaires brésiliennes évoquait “une mentalité colonialiste dépassée au XXIe siècle”.
Notre maison brûle. Littéralement. L’Amazonie, le poumon de notre planète qui produit 20% de notre oxygène, est en feu. C’est une crise internationale. Membres du G7, rendez-vous dans deux jours pour parler de cette urgence. #ActForTheAmazon pic.twitter.com/Og2SHvpR1P
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) August 22, 2019
– Lamento que o presidente Macron busque instrumentalizar uma questão interna do Brasil e de outros países amazônicos p/ ganhos políticos pessoais. O tom sensacionalista com que se refere à Amazônia (apelando até p/ fotos falsas) não contribui em nada para a solução do problema.
— Jair M. Bolsonaro (@jairbolsonaro) August 22, 2019
En janvier 2021, Emmanuel Macron a souligné que l’Europe avait proposé des mesures pour lutter contre la “déforestation importée” en souhaitant interdire l’entrée sur le sol européen de produits provenant de terres déboisées, comme le boeuf, le café et le soja.
Continuer à dépendre du soja brésilien, ce serait cautionner la déforestation de l’Amazonie.
Nous sommes cohérents avec nos ambitions écologiques, nous nous battons pour produire du soja en Europe ! pic.twitter.com/CORHnlIp8E— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) January 12, 2021
Jair Bolsonaro l’a, par la suite, accusé de dire “des idioties” lorsqu’il affirme que la dépendance de l’Europe envers le Brésil cautionne la déforestation de l’Amazonie :
“Pour l’amour de Dieu, Monsieur Macron, n’achetez pas de soja brésilien, comme cela vous ne déforestez pas l’Amazonie. Achetez du soja en France. Vous ne connaissez pas votre pays et vous n’arrêtez pas de donner votre opinion sur le Brésil.”
Il est ainsi peu probable que la réélection d’Emmanuel Macron à un second mandat en mai 2022 améliore les relations franco-brésiliennes. Seuls les résultats des élections présidentielles du Brésil en octobre prochain et un réel changement de sa politique environnementale devraient déterminer un éventuel futur rapprochement entre les deux pays. En attendant, Jair Bolsonaro continue de lui reprocher l’accueil à l’Élysée du cacique Raoni entre mai et août 2019, et plus particulièrement celui de son principal opposant, l’ex-président Luiz Inacio Lula da Silva, en novembre 2021 :
“Macron a toujours été contre nous, il nous a toujours attaqué sur la question de l’Amazonie. Donc on dirait vraiment que c’est une provocation. Macron et Lula vont bien ensemble, ils s’entendent bien et parlent le même langage.”
Contrairement à son successeur, et bien qu’il ait soutenu Jean-Luc Mélenchon, candidat du parti La France Insoumise, lors du premier tour des élections, Lula a tenu à féliciter le président français pour sa réélection :
“Merci à Emmanuel Macron pour sa large victoire dans les urnes. Je me réjouis de la réussite de son gouvernement, du progrès des conditions de vie des Français et du développement de l’intégration de l’Union européenne. Je suis convaincu que le Président Macron contribuera aux défis mondiaux du changement climatique, des pandémies, de la lutte contre les inégalités et à la construction de la paix en Europe. L’avenir de la démocratie est en jeu dans le monde, et il est fondamental de vaincre l’extrême droite et son message de haine et de préjugés.”
Les accusations de la justice brésilienne sur les incendies provoqués par l’entreprise Sinop Energia, contrôlée en grande partie par EDF, n’est au final qu’un épisode de plus dans la guerre froide que se livrent Emmanuel Macron et Jair Bolsonaro depuis plus de trois ans. La France, tout comme le Brésil, restent des pays aux populations divisées et, malgré ses promesses, le président français a lui aussi été critiqué pour sa politique environnementale jugée insuffisante. Il a ainsi promis, à la fin de la campagne présidentielle française, de faire de cette question une priorité pour son second mandat, dont l’investiture a eu lieu le samedi 7 mai 2022.
Sources:
Le Parisien: “Dégâts environnementaux en Amazonie : un juge réclame des explications à Emmanuel Macron sur une centrale EDF”
Globo: “Juiz de Mato Grosso envia carta rogatória para que Emmanuel Macron, o presidente da França, se manifeste sobre danos ambientais”
Ouest France: “Pourquoi Macron est la cible du président brésilien Bolsonaro”
Conservation: “Study: How years of wildfires have devastated the Amazon ?
À lire aussi sur le site de Planète Amazone:
Le barrage brésilien de Sinop [EDF] fait fi de la législation environnementale
Tribune : le cacique Ninawa appelle Emmanuel Macron à agir pour protéger les peuples d’Amazonie
Amazonie: Bolsonaro / Macron, deux visions opposées ? Vraiment ??
Tribune : « Il faut arrêter les négociations commerciales avec Bolsonaro »
Article rédigé par Anthony Cicion