Indonésie : Le leader mondial de la production d’huile de palme suspend ses exportations


Alors qu’environ la moitié des produits présents dans nos grandes surfaces contiennent de l’huile de palme, son industrie génère déforestation, conflits fonciers et sociaux en Indonésie, leader des exportations. Notre consommation actuelle de cet oléagineux n’est pas durable et cause des dommages environnementaux et sociaux à l’échelle locale, mais aussi mondiale. Ingrédient essentiel à la fabrication de nos produits cosmétiques et  alimentaires, il est urgent que nous modifions nos habitudes de consommation. Pour cela, les entreprises doivent identifier avec précision sa provenance, exclure les fournisseurs coupables du déboisement en Asie du Sud-Est, et privilégier les fabricants  qui utilisent une huile de palme certifiée “Zéro Déforestation”. Le boycott total n’est pas la solution, mais il est nécessaire d’accentuer les efforts pour garantir que les engagements en faveur de la durabilité soient respectés

L’Indonésie, principal producteur mondial d’huile de palme, se retrouve en pénurie pour son marché intérieur et cesse temporairement toute exportation depuis le 28 avril 2022. Une situation paradoxale qui pourrait avoir de sérieuses répercussions sur le prix de cette denrée, présente dans la moitié des produits vendus en grande surface.


Vue aérienne d’une plantation de palmiers à huile, Indonésie. © Nanang Sujana (CIFOR) | Flickr | CC BY-NC-ND 2.0

Dans un contexte mondial où le marché des huiles végétales est instable et sous pression, en raison des pénuries provoquées par la guerre en Ukraine, l’annonce de l’embargo de l’Indonésie sur la totalité des exportations d’huile de palme risque d’accentuer la flambée des cours de ces matières premières dans les semaines à venir. 

L’Indonésie donne la priorité à sa population locale 

La nouvelle a provoqué un choc sur le marché international des huiles comestibles. Dans une vidéo diffusée le 27 avril, le président indonésien Joko Widodo a annoncé que son pays cesserait dès le lendemain toute exportation d’huile de palme, afin d’assurer la disponibilité de produits alimentaires sur son propre territoire. Alors que lÉtat est le principal producteur de cette huile et le premier exportateur avec 60 % du marché mondial, il fait face à une pénurie depuis le mois de novembre car les producteurs privilégient les exportations, bénéficiant de la hausse des cours de cette denrée. De fortes tensions sociales se sont ainsi manifestées dans le pays, alors que les consommateurs les plus modestes devaient patienter plusieurs heures dans de longues files d’attente devant les centres de distribution d’huiles à prix subventionnés. 

Afin d’éviter une inflation trop élevée, Joko Widodo a annoncé faire du marché intérieur “sa plus haute priorité” et continuer à “surveiller et évaluer l’application de cette politique pour que l’huile de cuisson dans le pays soit abondante et à un prix abordable”. En janvier 2022 , il a imposé aux producteurs un quota les obligeant à réserver 20 %, puis 30 %, de leur production d’huile de palme au marché intérieur à prix fixes, avant de le supprimer en faveur d’une taxe d’exportation rehaussée. Mais face au mécontentement de la population et à la baisse de popularité du président, le gouvernement a dû prendre des mesures plus importantes. Eddy Hartono, responsable de l’Association indonésienne des producteurs d’huile de palme, déplore que cette décision ait déjà fait chuter les revenus des exploitants des plantations car il n’a, selon lui, “aucun problème d’approvisionnement, mais de distribution”. Malgré les mauvaises conditions météorologiques de cette année, Alain Rival, chercheur à Jakarta pour le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, n’explique pas cet embargo par crainte d’une pénurie sur le marché intérieur : 

 

“Les raisons ne sont pas agronomiques, puisque localement la production est bien supérieure à la consommation : 49 millions de tonnes produites annuellement, contre 15 millions de tonnes consommées par les Indonésiens.”

 

La mesure a, en réalité, été provoquée par la pénurie d’huiles végétales, notamment de tournesol, car l’Ukraine assurait près de 80 % de la demande mondiale. La baisse d’exportation a eu un effet de substitution en faveur de l’huile de palme et a eu pour conséquence une forte hausse de la demande et des prix. Arrêter toutes les exportation pourrait ainsi être une manière pour le gouvernement indonésien de réduire l’inflation dans son pays car “en tant que le plus gros producteur d’huile de palme, il est ironique que nous ayons des difficultés à obtenir de l’huile de cuisson” a souligné Joko Widodo. Mais le Dr Sathia Varqa, président de Palm Oil Analytics, affirme que cette décision radicale ne serait pas nécessairement efficace : 

 

“Le gouvernement a appuyé sur le bouton “panique” en interdisant toute exportation”. C’est une mesure populaire, mais je ne pense pas que cela marchera car le vrai problème, ce n’est pas le rendement. C’est la distribution pour le marché intérieur, depuis les raffineries jusqu’à l’emballage, jusqu’aux revendeurs.”

 

Fruits du palmier à huile, West Kalimantan 2017. © Nagang Sujana (CIFOR) |
Flickr | CC BY-NC-ND 2.0

 

Cette action concerne tous les produits issus de l’huile de palme, et pas seulement ceux destinés à l’alimentaire. Elle serait provisoire, mais aucune date limite n’a été annoncée, attendant que le prix de l’huile se stabilise à 14 000 roupies (0,91 euro) le litre, après s’être envolé au cours des dernières semaines. “J’espère que tout le monde comprendra la nécessité de prendre cette mesure en urgence pour protéger la population indonésienne”, a précisé Muhammad Lutfi, ministre du Commerce. 

 

Une décision aux répercussions internationales

La suspension des exportations d’huile de palme et de ses matières premières devrait entraîner une forte hausse des prix des produits alimentaires et cosmétiques dans le monde entier. Le soja et le colza ont enregistré des tarifs historiques depuis l’annonce du 27 avril, et l’embargo indonésien risque de globalement maintenir au plus haut les prix des huiles végétales. “Personne ne peut compenser la perte de l’huile de palme indonésienne. Tous les pays vont souffrir”, avertit Rasheed JanMohd, directeur de l’Association des raffineurs d’huile alimentaire du Pakistan. L’Asie centrale et du Sud seront les premiers à subir les effets de cette décision, notamment l’Inde, la Chine, le Pakistan et le Bangladesh, qui importent jusqu’à 80 % de leur huile de palme d’Indonésie. Mais l’impact devrait par ailleurs être particulièrement difficile sur le continent africain, en particulier en Egypte, très dépendant de cette huile et moins autonome pour trouver des alternatives que d’autres régions du monde, comme l’Amérique latine et sa production de soja. C’est ce que précise Tancrède Voituriez, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), installé au Nigéria : 

 

“L’Afrique est un perdant net de la décision indonésienne car le continent importe environ 16 fois plus d’huile de palme qu’il n’en exporte. Comme il y a plus de consommateurs que de producteurs, la balance est franchement négative à court terme.”

 

De son côté la Malaisie, second pays exportateur mondial d’huile de palme, aspire à tirer profit de la situation qui devrait lui apporter de nouveaux clients, et va tenter de combler le déficit. Mais il n’est pas certain que le pays ait les moyens de ses ambitions car un nombre conséquent de travailleurs de palmeraie ont été renvoyés durant la pandémie et les rendements y sont historiquement bas. Il n’existerait donc pas de réelle alternative à l’Indonésie, qui représente à lui seul près de 60 % de l’ensemble des exportations d’huile de palme au niveau mondial.

 

Ouvriers d’usine de palmiers à huile © Miguel Pinheiro (CIFOR) – Flickr (CC BY-NC-ND 2.0

 

L’Europe importe environ 7,5 millions de tonnes d’huile de palme par an, dont 60 % proviennent d’Indonésie, mais c’est finalement peu en rapport à  la taille de son marché. De nombreux aliments et produits cosmétiques en contiennent encore mais elle a été en grande partie remplacée par l’huile de tournesol en raison de ses terribles conséquences sur la biodiversité de l’Asie du Sud-Est. En effet, l’Indonésie affiche aujourd’hui l’un des taux de déforestation les plus élevés au  monde qui se traduit par la destruction des habitats naturels de plus de 193 espèces animales en danger d’extinction, notamment l’orang-outan de Sumatra ou de Bornéo. Notre consommation actuelle de produits contenant de l’huile de palme n’est pas durable. Néanmoins, la solution ne serait pas l’arrêt total de sa production car ses alternatives, comme le colza ou le soja, demandent davantage de surface et beaucoup plus de pesticides pour produire les mêmes quantités. 

Pour les pays qui ont le plus à perdre, l’unique espoir est que l’Indonésie rétablisse au plus vite ses exportations. C’est, de plus, un scénario tout à fait envisageable car le pays reste économiquement extrêmement dépendant de ce marché qui lui a rapporté près de 20 milliards d’euros en 2020, risque de devoir payer des pénalités pour rupture de contrats et est susceptible d’être poursuivi devant l’Organisation mondiale du Commerce si cette suspension se prolonge indéfiniment. Cette situation pourrait finalement avoir des répercussions économiques et politiques allant bien au-delà des frontières asiatiques, car tandis que le président indonésien espère atteindre la paix sociale avec cette décision, le reste du monde commence déjà à en subir les conséquences. 

 

Sources : 

Business AM : “L’Indonésie cesse d’exporter de l’huile de palme : les experts s’attendent à une nouvelle hausse des prix alimentaires mondiaux”

Le Monde : “L’Indonésie suspend ses exportations d’huile de palme”

Reporterre : “L’arrêt des exportations d’huile de palme par l’Indonésie va affecter l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh”

 

À lire aussi sur le site de Planète Amazone:

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Article rédigé par Anthony Cicion 



Mis a jour le 2024-03-23 14:49:41

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