par Maurício Angelo
Les retardateurs de flammes comme ceux qui ont été utilisés récemment dans la Chapada dos Veadeiros et dans le Pantanal ont des répercussions sur l’environnement qui, dans les cas les plus graves, peuvent provoquer la perte totale de végétation. Un avis de l’Ibama (Institut brésilien de l’environnement et des ressources renouvelables) datant de 2018 met en garde concernant les risques de l’utilisation aveugle des retardateurs.
Le ministre de l’Environnement, Ricardo Salles, a approuvé personnellement l’usage de retardateurs dans la Chapada dos Veadeiros, dans l’État de Goiás, début octobre. Le produit chimique a été déversé par des aéronefs afin d’essayer de maîtriser les incendies qui ont consumé 75 000 hectares dans la région.
Mais l’usage du produit en question, dénommé Fire Limit et appartenant à l’entreprise espagnole Rio Sagrado, n’est pas autorisé par le gouvernement, et n’a même pas été discuté par le ministère de l’Environnement (MMA). L’Ibama explique, dans un avis en 2018, que le retardateur doit être utilisé seulement en dernier recours, et émet une série de mises en garde sur les impacts environnementaux de celui-ci.
L’Ibama affirme que le produit ne doit pas être utilisé dans les Zones de préservation permanente et que la population doit être informée « sur les possibles risques liés à la consommation d’eau et d’aliments provenant de ladite zone durant les 40 jours suivant l’application du retardateur de flammes ». En cas d’utilisation, les autorités doivent faire un suivi durant au moins six mois pour identifier les dégâts environnementaux.
Les habitants de la Chapada dos Veadeiros ont protesté contre l’utilisation du retardateur et la visite de Ricardo Salles, demandant la démission du ministre en charge. Une action populaire en justice devant le tribunal fédéral a demandé l’interdiction de l’utilisation du retardateur dans tout le Brésil et la suspension de l’achat de 20 000 litres de produit, sans enchères. Sous pression, l’Ibama s’est retiré et a annulé l’achat du produit, qui coûterait plus de 100 000 euros (680 000 réals).
Les retardateurs ont aussi été utilisés en phase d’essais pour combattre les feux dans le Pantanal et l’achat annulé de l’Ibama visait cette même région. L’efficacité des produits n’a pas été démontrée, son utilisation n’est pas réglementée au Brésil et les impacts environnementaux varient de légers à graves, selon les substances.
Image aérienne d’incendie dans le Pantanal en août. Le feu qui avance à proximité du sol et non à la cime des arbres est plus difficile à combattre à l’aide de retardateurs.
Photo : Mayke Toscano/Secom-MT.
Mort totale de la végétation
Le professeur Carlos Henke, de l’université de Brasilia, étudie l’utilisation des retardateurs de flammes depuis 2015. Dans les laboratoires et sur le terrain, en partenariat avec les pompiers du district fédéral, Henke met à l’essai les différents types de retardateurs trouvés sur le marché sur des incendies contrôlés.
Bien que l’efficacité varie énormément d’un produit à l’autre, explique Henke, tous les retardateurs ont un impact sur l’environnement, dont la mort totale de la végétation dans certains cas. Selon Henke, qui est docteur en écologie et en ressources naturelles, l’utilisation au sein de la Chapada dos Veadeiros a été précipitée et l’action ne se justifie pas.
« Outre la question environnementale, l’utilisation s’est faite à tort car il n’y a pas eu de concertation sociale. Cela laisse des cicatrices dans la société », affirme Henke.
Dans le cas du retardateur Fire Limit FL-02, utilisé dans la Chapada, le chercheur rapporte que le représentant du produit n’a jamais voulu réellement participer aux essais réalisés. Selon Henke, l’entreprise Rio Sagrado a promis de remettre une quantité acceptable du retardateur à la recherche scientifique et jusqu’à aujourd’hui, elle n’a pas tenu sa promesse.
Ce refus du fabricant à vouloir se soumettre au crible scientifique met en doute les affirmations faites sur son site officiel, selon lesquelles « le produit ne cause aucun dommage à l’environnement » et « empêcherait l’avancée du feu ». La Rio Sagrado n’a pas répondu aux questions envoyées par Mongabay quant aux informations divulguées sur son site, à savoir si les essais ont été réalisés dans différents biomes, dans quelles conditions et si les chercheurs étaient des indépendants.
L’efficacité présupposée est pointée du doigt dans une note technique de l’Ibama. « En cas d’application aérienne, il faut tenir compte de la viscosité du produit utilisé et de la hauteur minimale requise pour l’application par aéronef. Les fluides à faible viscosité, en cas de déversement à haute altitude, ont tendance à s’atomiser et n’atteignent donc pas la cible à une concentration suffisante pour éliminer le feu », explique l’avis. C’est le cas du Fire Limit FL-02, qui a une viscosité d’environ 200 centipoises (cP), laquelle est considérée comme basse selon l’Ibama, qui a observé une efficacité sur des produits de 1500 cP.
L’avis de l’Ibama ajoute : « il n’y a pas de réglementation et de système d’évaluation défini » pour les retardateurs. Ainsi, les normes ont été comparées à celles des produits agrochimiques, et le Fire Limit, selon cette analyse, a été classé comme « peu toxique et peu persistant ».
Cependant, l’Ibama ajoute : « les données disponibles ne permettent pas de tirer des conclusions sur l’utilisation répétée de ces produits dans l’environnement et les dommages qu’ils peuvent provoquer dans les écosystèmes terrestre et aquatique ».
L’utilisation dans d’autres pays
La Rio Sagrado a fait valoir auprès de l’Ibama que le produit aurait obtenu une autorisation d’utilisation dans des pays comme le Portugal, l’Espagne et le Chili, en se basant sur des analyses en laboratoires et des essais d’efficacité. Néanmoins, selon le matériau envoyé, « aucun document officiel n’a été obtenu tel qu’un permis environnemental ou une autorisation d’utilisation délivré par les gouvernements portugais, espagnol et chilien permettant officiellement l’utilisation de retardateurs de flammes », affirme l’Ibama.
Selon Henke, on ne peut pas comparer l’usage de retardateurs dans des lieux comme l’Europe, les États-Unis ou le Canada à celui du Brésil car la nature des incendies est totalement différente. Aux États-Unis, par exemple, le feu se propage par la canopée, situation qu’il n’est possible de combattre que par voie aérienne et dans laquelle les retardateurs peuvent aider, dans le cadre d’un usage stratégique et surveillé.
Les feux dans les biomes brésiliens ont des caractéristiques bien distinctes. « Ici il n’y a pas de feu des canopées. Dans le Pantanal, le feu est souterrain et ne se combat pas au moyen d’un retardateur. Le sol très riche en matière organique forme aux cours des siècles une couche de combustible, d’importance écologique fondamentale. Et le feu se propage par-dessous la terre. Nous observons cela en Amazonie également et c’est quelque chose d’extrêmement difficile à combattre », explique Henke.
Le chercheur ajoute que la lutte à l’aide de produits chimiques, quand elle est nécessaire, doit être faite de façon organisée, en connaissance de cause. « Le retardateur doit être utilisé de façon très précise, il ne peut pas être banalisé. Mais ce n’est le cas ni de la Chapada dos Veadeiros ni du Pantanal », affirme-t-il.
Contactés pour commenter l’utilisation des retardateurs dans tout le Brésil, les critères techniques utilisés et les éventuelles modifications apportées depuis l’avis de 2018, le ministère de l’Environnement et l’Ibama n’ont pas souhaité se prononcer.
© Mongabay, 23 octobre 2020, traduit du portugais par Virginie Bureau – Article original