Guatemala : un désastre écologique et humain révélé par un collectif de journalistes


Planète Amazone tient à rappeler l’importance de respecter les droits des peuples indigènes partout dans le monde. Le consentement libre et éclairé de la population indigène doit être obtenu lors de la mise en place de chaque projet affectant leurs terres, et ce dans le respect de l’article 3 de la Déclaration des Gardiens de Mère Nature. Planète Amazone dénonce également les projets d’exploitation minière et l’impact sanitaire et environnemental sur les écosystèmes et les populations indigènes. Les exploitants miniers doivent impérativement respecter les normes écologiques et passer par d’autres procédés tel que le recyclage des métaux afin d’éviter ces situations désastreuses.

Depuis quelques temps, elle fait parler d’elle mais pas vraiment pour la bonne cause… La mine Fenix, située au Guatemala, est l’un des plus gros gisements de nickel d’Amérique. Leader mondial du ferronickel, l’entreprise Solway qui exploite cette mine via sa filiale ProNico depuis 2014, est mise à mal par les révélations de Forbidden Stories, un collectif international de journalistes, qui lève le voile sur sa responsabilité masquée dans une atteinte à l’environnement et à ses populations locales. 


Photo montrant les habitants d’El Estor, au Guatemala, protestant contre la réouverture de la mine Fenix en octobre 2021. ©️ Prensa Comunitaria

Guatemala - un désastre écologique et humain révélé par un collectif de journaliste

Cap sur le Guatemala. Au nord-est du pays, la mine Fenix se situe à quelques kilomètres de la ville d’El Estor. Bordée d’un côté par le lac Izabal, le plus grand lac du Guatemala doté d’un écosystème exceptionnel, et de l’autre par des terres indigènes Q’eqchi aux reliefs montagneux, le gigantesque site fait légèrement tâche. Ici, bulldozers et pelleteuses s’activent pour extraire massivement du nickel. Solway, géant de l’industrie minière, possède sur le site la mine Fenix, une centrale électrique et le complexe de traitement du nickel. 

La multinationale suisse dirigée par un homme d’affaires d’ex-URSS et soutenue par l’État Russe emploie sur place 2000 personnes. Une fois la matière extraite, l’entreprise l’associe au fer. Ce ferronickel obtenu est ensuite exporté dans le monde entier, y compris en France, où il sert  à fabriquer  de nombreux objets du quotidien en inox : couverts, machine à laver ou automobiles. 

Suite aux révélations faites à son sujet le 6 mars 2022 par Forbidden Stories, la société Solway risque d’avoir des comptes à rendre quant aux conséquences de ses activités. Pour comprendre ce que prouve l’enquête réalisée, il faut d’abord savoir que Solway n’en est pas à son premier pas de côté. Et si elle a tenté de les dissimuler, cela fait des années que les populations locales tentent d’alerter et d’anticiper des dégâts considérables. 

Une mine aux pratiques déjà controversées depuis plusieurs années 

Tout commence en 2017, l’année du premier scandale. Une tâche rouge apparaît dans les eaux du lac Izabal, le plus grand lac du pays qui borde la mine. Endroit prospère fréquenté des pêcheurs, ce sont eux qui ont été inquiétés en premier. “Les gens ne voulaient plus acheter le poisson du lac. Pour la Gremial de Pescadores, l’organisation locale de pêcheurs, ça devenait difficile économiquement”, explique Carlos Choc, journaliste pour Prensa Comunitaria, qui couvrait l’affaire à l’époque et dont les enquêtes ont constitué un important travail de documentation. 

Le 27 mai 2017, l’inquiétude des pêcheurs, partagée par les populations indigènes locales, descendants des mayas, donne lieu à une manifestation pour la défense du lac. Au départ pacifique, l’évènement dégénère sous les fumées des gaz lacrymogènes et les tirs croisés, mortels pour l’un d’entre eux. Un pêcheur de 27 ans, Carlos Maaz s’écroule sous l’un de ces tirs. Des journalistes de Prensa Comunitaria sont menacés et forcés de se cacher directement. 

Ce n’est pourtant que le début d’une série d’intimidations contre quiconque élèverait sa voix à l’encontre du géant minier. À ce moment-là, Forbidden Stories décide de prendre la relève et lance son projet Green Blood. “Vous avez arrêté le messager, mais vous n’arrêterez pas le message”, avait déclaré avec détermination le collectif de journalistes. 

Dès 2019, leur travail avance à petits pas : des témoignages de personnes  sur place sont récoltés, des échantillons du lac envoyés à des laboratoires indépendants. Mais un détail n’a pas changé : l’énergie que dépense Solway à surveiller enquêteurs, journalistes ou toute personne en quête de preuves qui causeraient  du tort à la multinationale. Pour preuve, le nom du journaliste Carlos Choc apparaît dans de nombreux documents qui ne seront révélés que plus tard. 

L’année 2019 a pourtant été temporairement celle de l’espoir. Soulignant le manque d’étude sur les impacts environnementaux de l’ensemble du terrain de la mine et l’absence de consultation aux populations locales, le gouvernement guatémaltèque a ordonné cette année-là l’arrêt des extractions. Une mesure entrée en vigueur en janvier 2021. 

L’utopie n’a malheureusement pas duré longtemps puisque les activités de Solway ont repris de plus belle en février 2022. Après des mois de négociations et un scrutin local chapoté par l’entreprise, le ministère des énergies et des mines a ré-autorisé à nouveau l’extraction de nickel dans la mine Fenix. “C’est ainsi que Solway a discrètement tiré les ficelles de la consultation organisée avec le gouvernement guatémaltèque et les leaders communautaires de la région d’El Estor, en décembre 2021, ce qui a abouti à une reprise d’activité de la mine”, explique le journal Le Monde. 

Les révélations de l’enquête Mining Secrets : aujourd’hui plus de place au doute 

Au printemps 2021, Forbidden Stories a reçu d’un collectif de hackers, appelé « Guacamaya Rojas », des milliers de documents. Ils proviennent de la société minière locale opérée par les Russes et propriétaire de la société Solway, dont le siège est en Suisse. Grâce à cette fuite de données, une nouvelle enquête a pu être menée par Forbidden Stories en collaboration avec 20 médias internationaux dont Radio France, et 65 journalistes sur cette mine Fénix, installée à proximité de la municipalité d’El Estor.

Dans la poursuite de cette enquête, les journalistes ont pu interviewer les habitants d’El Estor. Ils ont découvert que la communauté, principalement indigène, n’avait pas été consultée sur la poursuite des activités de la mine. En effet, la Cour Constitutionnelle d’Amérique centrale avait demandé la suspension des activités de l’entreprise. La raison est que la multinationale a agi en violation du droit international qui exige que la communauté indigène soit consultée pour l’exploitation de leur terre. Alors que le ministre guatémaltèque des mines et de l’énergie affirme qu’il y a eu une consultation et qu’elle avait été « satisfaisante », les habitants ont une tout autre version. Cristobal Pop, président du syndicat de la Gremail de Pescadores qui avait porté l’affaire de la tache rouge du lac Izabal devant la Cour constitutionnel, affirme que « ce n’était pas une consultation, le consentement n’a jamais été donné par les communautés, qui n’avaient ni information ni liberté ».

En effet, la fuite de données a permis de mettre à jour les manœuvres frauduleuses des propriétaires de la mine pour acheter le silence des habitants. Certains ont affirmé que des membres de l’entreprise leur avaient proposé de l’argent en échange de les laisser exploiter la mine. La société  est même allée jusqu’à proposer aux habitants de les relocaliser pour les laisser tirer profit du nickel.

De la même manière, les documents ont également permis de découvrir que l’entreprise investissait dans la communauté d’El Estor. Les journalistes ont pu le constater lorsqu’ils sont allés à la rencontre du médecin de la municipalité du Guatemala. Les équipements du local du médecin ont quasiment été entièrement financés par « Pronico », une filiale de Solway. L’influence de la multinationale va même plus loin puisque lors de son interview, le médecin a nié le lien potentiel qu’il pourrait y avoir entre les dégâts causés par l’activité de l’entreprise minière et les nombreux cas de maladies chez les habitants depuis l’arrivée de l’entreprise sur le sol d’El Estor.

Les conséquences de l’activité minière sur l’environnement et la santé 

Les centaines de milliers de documents ont révélé des informations compromettantes sur le nickel. Ce métal est exploité depuis les années 1960 dans le cadre du projet Fénix, consistant à tirer profit de la mine portant le même nom. Solway rachète, en 2011, ce complexe de traitement et la centrale électrique, qu’elle commence à exploiter en 2014. Le nickel est utilisé pour fabriquer un acier  inoxydable que l’on retrouve partout, des éviers au gratte-ciel, faisant de ce métal un joyau recherché par de nombreuses entreprises dans le monde, dont certaines connues de tous qui se fournissaient jusqu’à l’heure actuelle du nickel présent dans cette mine Fénix.

Cependant, la fuite de données a révélé un taux de nickel dans l’air jusqu’à 40 fois la norme autorisée dans certaines zones. Les conséquences sur la santé sont désastreuses, puisque l’exposition chronique au nickel est loin d’être anodine. L’inhalation régulière de ces poussières peut provoquer des troubles respiratoires (asthme, bronchite, allergies) et ainsi augmenter le risque de cancer des poumons. Des problèmes de peau peuvent également survenir. Aujourd’hui, il est fréquent de voir des mères indigènes des communes proches se présenter chez le médecin avec des nourrissons ayant des problèmes de peau.

D’autres révélations ont pu être découvertes grâce aux documents, notamment la présence de chrome, qui est un autre composant dans la production de l’acier inoxydable, dans le lac Izabal. Des géologues ont pu avoir accès aux prélèvements de ce  lac et des cours d’eau proches de l’usine, réalisés par l’entreprise Solway elle-même. Laurence Maurice, directrice de recherche en géochimie environnementale à l’Institut français de recherche pour le développement, fait un constat alarmant : “Pour le chrome, le niveau à partir duquel on a des risques pour la santé des écosystèmes aquatiques est de 90 microgrammes par gramme dans les sédiments… Or là, on peut trouver des taux allant jusqu’à 580 ou 2500 microgrammes ! C’est vraiment énorme. Certains géologues vous diront qu’on pourrait presque l’exploiter tellement les niveaux sont élevés dans les sédiments.” 

À un tel niveau, le chrome est donc dangereux pour l’environnement et le lac Izabal en subit les premiers effets. Le président de la Gremial de Pescadores, Cristobal Pop, révèle que de nombreux poissons et animaux vivants autour de ce point d’eau  sont morts. Il pourrait même s’avérer être dangereux pour l’homme si des analyses plus poussées révèlent qu’il existe une présence de chrome 6, extrêmement toxique. Ce dernier est classé cancérigène et peut provoquer des mutations génétiques.

Sources principales :

Forbidden Stories “Révélations : une fuite de données massive lève le voile sur les méthodes accablantes d’un géant minier au Guatemala“

Le Monde : “Mining Secrets : nouvelles révélations sur les pratiques controversées d’un géant de l’industrie minière au Guatemala”

Article rédigé par Carla Génévrier et Lauryn Grenet



Mis a jour le 2024-03-23 14:49:41

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