Eloge au Cacique Aritana Yawalapiti, par Mércio GOMES
L’une des plus remarquables caractéristiques du personnage imposant que représentait ARITANA YAWALAPITI était sa disposition naturelle et généreuse au dialogue. Sa physionomie même, toujours un léger sourire bienveillant aux lèvres et un regard serein et respectueux à l’égard des autres, reflétait au premier coup d’œil la personnalité privée et politique d’ARITANA. Rares sont ceux que j’ai connu qui possédaient tant d’habileté diplomatique, tant de charisme authentique et tant d’ouverture vis-à-vis des amis et des adversaires. Pendant de nombreuses années, à partir du moment où il est devenu le leader principal du peuple Yawalapiti, ARITANA a prouvé qu’il était un homme de parole, gentil, généreux et conciliant. ARITANA était un homme au caractère raffiné, comme d’ailleurs tant d’autres autochtones du Haut-Xingu.
ARITANA est né en 1949, et a tout de suite été enregistré dans les documents du SPI – « Serviço de Proteção aos Índios » (le Service de Protection des Indiens), qui avait mis en place une base de contact et de liaison avec ceux que l’on nomme les « peuples xinguanos », ou même les « indigènes du Haut-Xingu ». Cette région brésilienne, entre la savane et la forêt, est formée de diverses rivières qui se rejoignent dans le majestueux fleuve Xingu. Presque entièrement isolée, depuis la période coloniale, elle était célèbre pour ses rares visiteurs et était restée intacte face aux ravages qui survenaient dans d’autres parties du Mato Grosso. Dans les années 1870, deux grandes expéditions commandées par le scientifique allemand Karl Von den Steinen étaient descendues jusqu’aux rivières Ranuro et Batovi, qui forment le Xingu, et ont rencontré divers peuples qui, même s’ils parlaient des langues différentes, semblaient exprimer une même culture. Six décennies plus tard, dans les années 1940, Getúlio Vargas créait la « Comissão Brasil Central » (Commission Brésil Central) dans le but de trouver le point géodésique du pays, dans lequel furent intégrés trois jeunes frères de Botucatu, de la famille Villas-Boas. La Commission atteint le fleuve Xingu et entra en contact avec le peuple Kalapalo, vers 1943. À partir de là, les autres furent contactés et une base de soutien fut créée. Ainsi débuta le Parc indigène du Xingu, officiellement créé en juillet 1961 [sous le nom de “Parc National du Xingu].
Le père d’ARITANA s’appelait KANATO, du peuple Yawalapiti, et, dès le début des contacts avec les frères Villas-Boas, il fut reconnu comme l’un des grands leaders des peuples du Haut-Xingu.
Dans les années 1950, le peuple Yawalapiti avait pratiquement disparu. Il n’y avait plus de village yawalapiti. Il y avait peut-être 15 à 20 personnes qui parlaient encore la langue yawalapiti, une langue du tronc linguistique ARUAK, dont les locuteurs venaient du nord, depuis des siècles. À l’époque de la découverte des Amériques, les peuples ARUAK dominaient les grandes îles des Caraïbes et même certaines parties de la Floride. De là venaient également des peuples qui parlaient des langues du tronc Karib (qui par ailleurs donnèrent leur nom à la région des îles, la Mer des Caraïbes) et ainsi, ARUAK et KARIB, presque toujours en conflit l’un contre l’autre, se sont rencontrés dans le Haut Xingu, se sont alliés et ont constitué la base de la grande culture connue sous le nom d’Alto-Xinguana, l’une des formes culturelles les plus singulières de l’humanité. Au fil des années, les KARIB et ARUAK se sont divisés en villages autonomes qui se sont mutuellement reconnus comme des peuples distincts, comme les Kura-Bakairi, Waúja, Mehinako, Kalapalo, Nafukwa, Matupi et autres. À eux vinrent s’associer les Kamaiurá et Aweti, tous deux de langue TUPI, tout comme les Trumaí, ces derniers au cours des 150 dernières années. Plus récemment, les peuples Irantxe, Kayabi, Suyá et Juruna sont venus s’intégrer au Haut Xingu, mais sans participer à toute l’extension de la culture des peuples du Haut-Xingu.
A la fin des années 1950, KANATO décrivit la situation de son village à Orlando Villas-Boas, qui dirigeait le Parc indigène du Xingu, et le convainquit de tenter la reconstruction du peuple Yawalapiti, en créant un nouveau village avec les membres dispersés, par le mariage avec d’autres peuples du Haut-Xingu. D’ailleurs, les mariages entre les jeunes hommes et femmes de langues différentes et de peuples distincts constituent l’institution sociale principale qui fusionne des peuples différents en une seule culture. Le village Yawalapiti fut inauguré dans les années 1960 avec un minimum de 17 personnes, adultes et enfants confondus. Il compte aujourd’hui un total de plus de 300 individus. Le village se situe au bord de la rivière Tuatuari, affluent du fleuve Xingu. Il s’agit de la rivière où tous font leurs nombreuses ablutions quotidiennes, et dans les eaux limpides et saines de laquelle quelques heureux privilégiés non-indigènes ont eu la joie et l’honneur de se baigner.
ARITANA était le premier-né de KANATO et donc destiné à être un umlaw, ou chef de son village. Sa mère venait du peuple Kamaiurá et était la sœur du grand pajé [shamane] Takumã, et son grand-père était Mehinako. La première épouse d’ARITANA venait du peuple Kuikuro. C’est ainsi qu’ARITANA a appris à parler, dès l’enfance, les langues yawalapiti, kamaiurá, mehinako puis kuikuro. Il comprenait et parlait d’autres langues du tronc Aruak et Karib, outre le portugais bien entendu.
Dans sa jeunesse, ARITANA pratiqua avec enthousiasme et habileté la fameuse lutte xinguana HUKA-HUKA et il devint grâce à elle un grand et célèbre champion.
A la fin des années 1980, son père KANATO décéda et ARITANA occupa le poste de umlaw afin d’orienter son peuple, toujours selon la manière Xinguana (à savoir à base de longues explications détaillées, de réflexions, de débats et consensus élaborés). Grâce à sa personnalité, ARITANA grandit dans le monde Xinguano comme un leader pondéré et heureux, sans jamais se fâcher avec les autres leaders ou toute autre personne.
Le respect pour ARITANA fut également repris par des gens du Xingu, aussi bien des brésiliens non indigènes que d’autres indigènes. ARITANA était l’ami de tous les grands caciques indigènes du Brésil, qu’il retrouvait lors d’audiences à la FUNAI, dans les commémorations du Kuarup, dans les manifestations indigènes ou dans des débats avec des non-indigènes.
Il y a presque cinq ans, son petit frère, le très cher PIRAKUMÃ, mourrait subitement, lors d’une fête du Kuarup, dans un village kuikuro. C’était également un gentleman xinguano, perspicace, intelligent, déterminé, expert sur le monde indigène et le monde des « blancs », qui fit beaucoup pour les Yawalapiti et pour d’autres peuples indigènes. C’était le lieutenant d’ARITANA.
Bien qu’encore jeune et en bonne santé, ARITANA fut anéanti par la mort de son frère. L’année suivante, il souffrit d’un AVC et fut transporté en avion jusqu’à Brasília. Il récupéra mais sa santé se détériora. Il souffrait de terribles douleurs dans le dos, mais il ne voulait plus sortir de son village en vue d’un traitement. Il ne supportait plus la vie en ville. C’est ce fichu Covid qui l’a emporté.
ARITANA a toujours eu pour préoccupation de rapprocher son village de la société brésilienne. Cependant, comme tout grand leader, sa préoccupation première était la préservation de la culture Yawalapiti et de tout le Haut-Xingu. Il savait que les nouvelles technologies étaient des tentations terribles face à la culture indigène traditionnelle. Il était désespéré par le départ de nombreuses familles xinguanas souhaitant vivre dans les villes voisines, comme Canarana, Sorriso et d’autres.
La vie d’ARITANA fut pleine et honorable. Il représente l’exemple du leader qui s’implique complètement dans sa culture, tout en comprenant les cultures qui l’entourent. Son héritage réside dans l’exemple de sa vie, de la fidélité à ses coutumes et de la recherche de l’entente avec le monde environnant. Il laisse l’exemple de sa vie à ses fils et à son peuple du Xingu.
Les peuples du Xingu, tout comme tous les autres peuples indigènes, sont à l’aube de grandes transformations. Ses populations grandissent et sont charmées par le monde extérieur. Les plus jeunes sont séduits par les gadgets et les frivolités du monde contemporain. Seules leurs cultures pourront préserver la foi dans l’existence autonome, pour prolonger la diversité humaine sur la surface de la Terre.
© Page Facebook de Mércio Gomes, 11 août 2020, traduit du portugais par Sophie Pires – Article original