L’identité taïwanaise et ses liens avec la Chine sont au cœur des revendications de Pékin pour l’unification de Taïwan avec la Chine. Or, une enquête du Centre d’étude des élections de l’Université nationale Chengchi à Taipei a mis en lumière des chiffres frappants. Le nombre de résidents qui se considèrent comme chinois est tombé à moins de 4 % l’année dernière. Ceux qui se considèrent à la fois comme taïwanais et chinois étaient moins de 32 %, contre 62 % qui s’identifient uniquement comme taïwanais.
Parmi les 23 millions de Taïwanais, plus de 95 % appartiennent à l’ethnie chinoise Han. Ce sont des générations de Chinois du Sud qui ont commencé à venir à Taïwan il y a plus de 400 ans. D’autres sont arrivés avec l’armée nationaliste en fuite après sa défaite face au Parti communiste chinois à la fin des années 1940.
Cette tendance va de pair avec une identification croissante aux communautés indigènes de Taïwan et un renouveau de la culture indigène et de ses racines. Taïwan compte seize peuples indigènes reconnus officiellement. Ils rassemblent environ 580 000 personnes, selon les statistiques du gouvernement.
Plus de 6 000 ans de présence et des siècles d’oppression
Ces peuples indigènes sont des descendants de peuples austronésiens dont la présence sur l’île remonte à des milliers d’années. Des Hollandais ont colonisé l’archipel au XVIIᵉ siècle, puis la dynastie chinoise des Qing l’a annexé en 1683. Taïwan fut ensuite placé sous le contrôle du Japon en 1895, puis l’armée nationaliste chinoise du Kuomintang après 1945. Pour les peuples indigènes, cette présence étrangère s’est traduite par des siècles de mauvais traitements. Ils ont subit des saisies de terres et des politiques d’assimilation bannissant les langues et traditions indigènes. En 2016, la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, dont l’un des grands-parents est indigène Paiwan, a présenté pour la première fois des excuses officielles aux peuples indigènes taïwanais pour les mauvais traitements qui leur ont été infligés.
Depuis, le gouvernement a mis en place différentes initiatives. Par exemple l’enseignement des langues indigènes, programmes de formation , centres de santé et subventions pour soutenir les coutumes traditionnelles. Les indigènes restent cependant marginalisés, avec des salaires inférieurs à la moyenne et des taux de chômage plus élevés. La question de la désignation des terres indigènes est encore irrésolue. Les militants indigènes continuent à lutter pour avoir droit à l’ensemble de leurs terres. Ils militent aussi pour le droit à l’autogestion, afin de pouvoir négocier sur un pied d’égalité avec les autorités.
Il demeure également difficile pour les communautés indigènes de maintenir et transmettre leurs traditions. L’exode rural est notamment en cause : la moitié des indigènes ont déménagé en ville, selon le ministère de la Culture.
C’est pour cela que des indigènes, tels que l’auteur Ahronglong Sakinu, de la tribu Lalaulan, souhaitent accueillir des non-indigènes. C’est une manière selon eux de faire vivre la culture, en la transmettant à des étrangers qui apprécient leurs traditions.
Accueillir des étrangers et faire vivre la culture indigène
Un nombre croissant de jeunes Chinois Han souhaitent s’immerger dans l’une des cultures indigènes de l’île. Ils sont en quête de liberté, de connexion à leur prochain, à la nature et à l’histoire de l’archipel. Présentés par des connaissances indigènes ou de leur propre initiative, ils sont accueillis au sein de villages indigènes. Ils participent à des festivals, parcourent les montagnes et marchent sur les traces des ancêtres. Au bout de plusieurs années, ils racontent se sentir parfaitement intégrés au sein de leur nouvelle communauté.
Pour ces Taïwanais, cette connexion avec les peuples indigènes apporte une réponse à la question de l’identité nationale, après des décennies de domination et de répression culturelle par différentes communautés étrangères. Ils se rapprochent des racines austronésiennes des peuples indigènes, présents depuis plus de 6 000 ans.
Ceci remet en cause les revendications de la Chine, fondées sur l’argument d’une histoire et d’une ethnicité communes. En 2019, le président chinois Xi Jinping avertissait qu’il n’exclut pas le recours à la force pour parvenir à l’unification. Des représentants du Comité autochtone de justice historique et de justice transitionnelle de Taïwan avaient répondu que cette terre n’appartient pas à la Chine. Elle est leur patrie depuis des millénaires et des générations d’indigènes l’ont protégée au prix de leur vie.
Sources principales :
The Washington Post, « Taiwan’s Han Chinese seek a new identity among the island’s tribes »
Le Monde, « “A l’allure où vont les choses, que restera-t-il de nos cultures ?” : à Taïwan, la résistance des aborigènes »
Article rédigé par Anne-Sophie Fernandes