Bloc 28 : l’exploitation pétrolière qui menace l’Amazonie équatorienne


En Équateur, un mouvement de lutte est apparu depuis plusieurs années, pour faire face aux compagnies pétrolières qui participent à la dévastation de l’Amazonie et par conséquent, de ses populations. Bien qu’en 2008, le pays ait adopté une nouvelle Constitution où la Nature fut reconnue comme sujet de droit, l’exploitation pétrolière n’a pas pour autant disparu du territoire équatorien.

Récemment, les communautés indigènes du bassin des rivières Napo et Pastaza ont fait savoir qu’ils étaient totalement contre le projet du “Bloc 28”, soumis par la compagnie pétrolière équatorienne Petroamazonas. Planète Amazone, qui s’est opposée par le passé à la vente de parcelles de forêt amazonienne équatorienne sur le marché français, trouve important de vous présenter cet article qui démontre une fois encore que le combat contre l’exploitation des hydrocarbures a – malheureusement – encore de belles heures devant lui. Loin de se décourager, les communautés autochtones s’organisent et veulent faire connaître au monde leur vision sacrée, notamment à travers la déclaration Kawsak Sacha qui a pour ambition de protéger les générations futures.

Les communautés indigènes du bassin des rivières Napo et Pastaza luttent pour que les montagnes restent en vie et ne soient pas soumises à l’extractivisme. J’ai vécu et grandi à la campagne. Mes premiers souvenirs remontent à 1990 environ, lorsque je vivais avec ma famille au Centro Fátima, une ferme de 28 hectares connue en Équateur comme une expérience pionnière en matière de conservation de la forêt tropicale humide.


Depuis les marches de notre maison, ma sœur et moi admirions les fameuses « montagnes bleues », comme mon père les appelait en raison de leur couleur particulière. Des décennies plus tard, au cours de ma carrière universitaire de biologiste de terrain, j’ai appris à les connaître comme les Andes subtropicales, correspondant à la forêt protégée d’Abitahua du corridor écologique de Sanday Llanganates, une zone de transition (écotone) reliant les versants orientaux des Andes équatoriennes aux plaines amazoniennes.

Chez nous, ma famille racontait d’innombrables histoires et légendes sur ces montagnes mythiques, auxquelles beaucoup ont essayé d’accéder en se laissant guider par les fables de trésors pré et post-incas, ainsi que par leur faune et leur flore sauvages. Mais à l’époque, et d’après ce que j’en savais à mon âge, peu de gens les avaient explorées, du moins à ma connaissance.

Au fil des années, plusieurs biologistes et chercheurs ont rejoint les légions historiques d’expéditionnaires qui ont pénétré dans ses forêts pour explorer l’une des zones les plus riches en biodiversité de la planète. Ses caractéristiques biogéographiques ont donné naissance à une grande variété d’habitats et de microclimats qui permettent une biodiversité et un endémisme d’espèces extraordinaires, ainsi qu’à d’abondantes étendues d’eau : versants, ruisseaux et rivières qui descendent à travers les contreforts.

Pour cette raison, la zone est considérée comme un point névralgique de la biodiversité, l’un des cinq qui existent en Équateur avec les îles Galápagos, le Choro équatorial, les lagunes de Cuyabeno et le parc national de Yasuni – en plus d’avoir été déclarée en 2002 « Don à la Terre » par le WWF, la plus haute récompense que cette organisation accorde à la nature.

Les mystérieuses montagnes bleues de mon enfance ont fini par être un trésor de biodiversité pour le monde entier.

 

Un lien intrinsèque

J’ai grandi et appris à prendre soin de la nature grâce au Centre expérimental de Fátima, un programme pilote de conservation de la faune amazonienne de l’Organisation des peuples indigènes de Pastaza (OPIP). Aujourd’hui appelée Pastaza Kikin Kichwa Runakuna (PAKKIRU), elle reste mon organisation de référence et compte plus de 180 communautés de référence et 13 associations.

À la suite de la marche historique Allpamanda, Kakwsaymanda, Jatarishun de 1992, menée à l’époque par l’OPIP, l’État a protégé plus d’un million d’hectares de forêt tropicale, comprenant non seulement les chaînes montagneuses d’Abitahua et de Llangantes, mais aussi les grandes plaines de la forêt des basses terres historiquement habitées par le peuple indigène Kichwa de Pastaza.

J’ai grandi entouré de ces histoires et de ces expériences organisationnelles, imprégné de l’esprit de la lutte collective des Runakuna (hommes et femmes de la forêt), pour qui cette relation intrinsèque entre le peuple de la forêt et son environnement naturel est évidente.

Pour les Kichwa et les peuples indigènes en général, il existe une relation intrinsèque avec l’eau qui va bien au-delà de la satisfaction de leurs besoins fondamentaux. Il existe une relation spirituelle intime puisque, selon notre cosmovision, les écosystèmes aquatiques abritent des êtres immatériels, des esprits, des dieux, des supais (êtres immatériels et esprits de la forêt), entre autres.

Une question de vie ou de mort

Les sources et les versants des rivières de l’amont du canton de Mera sont également devenus une source de revenus durables pour la population locale. De nombreuses communautés survivent dans ce recoin amazonien grâce à l’intérêt que suscite le tourisme dans la région, généré par les eaux limpides et cristallines qui attirent les touristes nationaux et étrangers.

Les revenus que les entreprises d’écotourisme génèrent pour les familles locales sont très appréciés, ce qui rend la conservation des rivières et des forêts vitale pour les populations locales. Les hommes et les femmes de la forêt – indigènes ou paysans – habitent ces coins de la forêt depuis des générations, entretenant une relation puissante avec l’eau, les rivières, la forêt et les ruisseaux.

Cela renforce l’esprit de défense et de lutte pour éviter que tout phénomène étranger à l’idéoculture locale affecte ou menace la conservation des sources de ces rivières. Nous y avons grandi, nous y avons appris à nager, nous connaissons leurs sentiers et avons appris à maîtriser l’orientation dans la forêt.

Ainsi, pour nous, se battre pour garder les montagnes bleues en vie et libres de toute exploitation pétrolière, minière ou hydroélectrique est une question de vie ou de mort.

 

Le combat contre le Bloc 28

Actuellement, des représentants de la compagnie pétrolière d’État Petroamazonas mènent des activités de prétendue « socialisation pétrolière » sur le Bloc 28, arrivant avec des offres de développement et des cadeaux pour les différentes communautés. Ils ne se soucient pas de la réalité des communautés et du tissu socioculturel qui existe avec la nature qui nous entoure en Amazonie – notamment dans les hautes montagnes de Pastaza.

C’est pourquoi les forces vives de la province de Pastaza sont en état d’alerte : indigènes, paysans, métis, opérateurs touristiques. Notre peuple a lancé un manifeste déclarant que l’eau et les ressources naturelles ne sont pas négociables avec une quelconque compagnie pétrolière. Nous sommes les défenseurs des eaux et nos terres sont la source des principaux bassins qui alimentent le grand fleuve Amazone : nous les défendrons jusqu’au bout.

À partir d’organisations de référence, nous avons conduit de grandes assemblées dans toute la province tout au long de l’année 2019, au cours desquelles nous avons émis des résolutions consensuelles ratifiant la position de lutte contre l’exploitation pétrolière. C’est le cas des déclarations du Peuple Anzu de la Rivière Ancestrale, de la Commune de San Jacinto del Pindo et du Peuple Indigène Kichwa de Santa Clara, issues de la Nation Kichwa de Pastaza, qui promeut en même temps une proposition de protection de la Forêt Vivante ou Kawsak Sacha comme patrimoine de vie pour les générations actuelles et futures.

” Selon notre cosmovision, les écosystèmes aquatiques abritent des êtres immatériels, des esprits, des dieux et des supais | Andrés Tapia ”

Il s’agit d’une proposition alternative pour passer à une phase post-extractive dans laquelle l’eau et la nature sont placées au-dessus des grands intérêts économiques et la vie au-dessus des affaires des compagnies pétrolières nationales et transnationales.

Nous sommes déterminés à montrer au monde entier l’importance de cette zone de biodiversité et les dommages qui se produiront en cas d’activités d’extraction d’hydrocarbures dans la zone, qui détruiront l’eau et la vie de nos montagnes bleues. Nous voulons sensibiliser tout le monde. Nous voulons que la voix des communautés qui ont décidé de dire NON à l’exploration pétrolière soit entendue.


© openDemocracy, le 20 avril 2021, traduit du portugais par Anne-Sophie TRANTOUL, Article original par Andrés Tapia



Mis a jour le 2024-02-12 11:34:31

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