Manaus (Amazonie) — L’un des plus grands sertanistes (indigénistes) travaillant pour des groupes d’indigènes isolés en Amazonie, Rieli Franciscato, 56 ans, a été atteint d’une flèche dans le cœur alors qu’il s’approchait de peuples non contactés aux environs de 17h (heure de Brasília) mercredi 9 septembre 2020 dans la zone de la ligne 6 à Seringueiras, sur la frontière à la limite de la Terre Indigène Uru-Eu-Wau-Wau, dans l’État de Rondônia. Le sertaniste, qui était accompagné d’un indigène et de policiers militaires, a été transporté vers un hôpital, mais il est arrivé déjà inanimé.
Coordinateur du Front de Protection Ethno-environnementale Uru-Eu-Wau-Wau de la Fondation Nationale de l’Indien (FUNAI), Rieli fut l’un des fondateurs dans les années 80 de l’organisation Ethno-environnementale Kanindé avec son amie et environnementaliste Ivaneide Cardozo. Il travailla également en première ligne de surveillance sur la Terre Indigène Vallée du Javari, en Amazonie, avec le sertaniste Sidney Possuelo.
Ivaneide a rapporté à l’agence Amazônia Real que, le matin du mercredi 9 septembre, elle avait discuté avec Rieli Franciscato au téléphone. Il était en train de suivre de loin les traces d’un groupe d’indigènes connus sous le nom des “Isolés du Cautario”, en référence au fleuve du même nom. Depuis Juin, ce peuple faisait des apparitions dans la zone rurale de Seringueiras. Le sertaniste, opposé au contact avec les indigènes isolés, tendait à éviter le conflit entre ce groupe et le reste de la population locale, mais le travail était précaire et sans structure.
« Rieli était là pour protéger ces indigènes, mais les autochtones isolés ne savent pas qui sont leurs amis ou leurs ennemis. La région de ces indigènes isolés est en train de brûler. Cela fait plusieurs jours que cette question nous préoccupe. Nous avons entendu parler d’invasions dans cette zone. Rieli était très inquiet. Si les indigènes isolés sortent pour attaquer, c’est que quelqu’un est en train de les attaquer », affirma Ivaneide.
Dans un enregistrement audio auquel Amazônia Real a eu accès, Rieli parlait à son amie Ivaneide de l’une de ses dernières préoccupations, un peu avant de se rendre jusqu’au groupe d’individus isolés, ce mercredi. « Éh, Neidinha [ surnom d’Ivaneide], à mon avis, ce voyage demain [10] va être compliqué. Je viens d’apprendre que les indigènes ont été aperçus au niveau de la [ligne] 6 et je vais voir ce qu’il en est. Je ne vais même pas pouvoir mettre quelqu’un là-bas. Clayton [agent de la Funai] est alité. Il a probablement le covid », affirma Rieli.
La débâcle du gouvernement
Carte du territoire Uru-Eu-Wau-Wau — sur lequel travaillait Rieli — envahi par les flammes.
« Ce qui a causé sa mort, c’est l’indifférence et l’incompétence de la Funai et de ceux qui gravitent autour du président actuel de la Funai et du Coordinateur des Indigènes Isolés », a critiqué le sertaniste Sydney Possuelo, ex-président de l’organisme. Selon lui, les circonstances de la mort de Rieli démontrent l’indifférence et le manque de responsabilité du gouvernement de Jair Bolsonaro (sans parti) en terme de questions concernant les indigènes et les fonctionnaires des Fronts de Protection Ethno-environnementale, « qui sont l’avant-garde des travaux dans la forêt ».
« Le gouvernement parvient à détruire la Funai en tant qu’institution, en laissant tomber les fonctionnaires chargés des missions les plus difficiles et les plus dangereuses, et en accélérant le processus de destruction des peuples indigènes isolés ou non », affirme Possuelo.
Contactée par Amazônia Real, la Fondation Nationale de l’Indien n’a pas répondu aux reporters. Jusque là, le président de la Funai et délégué de la Police Fédérale, Marcelo Augusto Xavier da Silva, ne s’est pas exprimé officiellement sur le sujet.
Comment s’est déroulée l’attaque ?
Flèche ayant tué le sertaniste Rieli Franciscato (Divulgation photo)
L’indigène Moises Campé, 35 ans, collègue du sertaniste de la Funai depuis cinq ans, était avec Rieli au moment de l’attaque par flèche des indigènes isolés. Campé a expliqué que des agriculteurs avaient vu des indigènes isolés dans la zone rurale de la ville de Seringueiras et en avaient informé la Funai. Lui-même, ainsi que Rieli et deux policiers se sont rendus sur place pour discuter avec les agriculteurs et les conseiller au cas où les indigènes apparaîtraient à nouveau. Ils ont quitté la base de la Bananeraie (base de protection aux indigènes isolés) vers 13h, et après avoir discuté avec les habitants ils sont partis sur les traces des indigènes isolés.
Vers 17h ils sont entrés dans la forêt, à la limite de la Terre Indigène Uru-Eu-Wau-Wau. Ils ont marché une trentaine de mètres, et alors qu’ils montaient sur une colline, une flèche a été lancée, atteignant Rieli en pleine poitrine. Campé affirma qu’ils n’ont pas vu les indigènes isolés, qu’ils les ont simplement entendu courir juste après. « On ne s’attendait pas à cela car ce ne sont pas des indigènes habitués à sortir les armes. Quelque-chose a changé. Nous venons de perdre un grand ami », regrette-t-il.
L’un des policiers qui accompagnait le sertaniste Rieli Franciscato mercredi a raconté, dans un message WhatsApp, comment s’est déroulée l’attaque, mais il ne s’est pas identifié.
« Nous sommes arrivés à la limite de la démarcation [de la Terre Uru-Eu-Wau-Wau], nous avons vu la plaque de la réserve de la Funai, mentionnant l’entrée interdite. Rieli a commencé à grimper une colline, son collègue indigène était juste derrière lui. Suivis de nous, venus de Rio Branco : la militaire Luciana était derrière l’indigène, et moi derrière elle. Alors, nous n’avons fait qu’entendre le bruit de la flèche, qui a touché Rieli dans la poitrine ; il a crié, a arraché la flèche et est revenu sur ses pas en courant. Il a réussi à courir sur cinquante ou soixante mètres avant de tomber presque mort, puis nous l’avons porté. Nous avons réussi à le transporter jusqu’à la voiture qui était sur la route et nous l’avons même emmené jusqu’ à l’hôpital, seulement il est arrivé sans vie ; notre ami est malheureusement parti ».
Son amie Ivaneide Cardozo a en outre commenté les difficultés auxquelles Rieli faisait face dans son travail. « Il n’y avait pas beaucoup de monde pour l’accompagner, car, malheureusement, la Funai actuelle ne déploie aucun moyen pour ses fonctionnaires. Il était l’un des plus grands défenseurs des indigènes isolés et il est mort en donnant sa vie pour ce qu’il a toujours défendu », dit-elle. « Sa plus grande préoccupation était de tout faire pour empêcher les gens de la Funai qui veulent initier le contact, de le faire ».
Rieli Franciscato était issu d’une famille d’agriculteurs qui av du ait migré du Paraná, où il est né, vers le Mato Grosso et le Rondônia. Ce fut dans ce dernier État qu’il entra en contact, pour la première fois, avec des indigènes de la Terre Indigène Rio Branco. Dans une interview pour la Revue brésilienne de linguistique anthropologique, le sertaniste confia qu’au milieu des années 1980 il avait une vision pleine de préjugés.
« Tout ce que je savais au sujet des indigènes, c’est ce qu’on nous apprenait à l’école ! Je ne savais rien du tout, enfin, je pensais que les Indiens étaient sales et qu’ils mangeaient de la nourriture différente, bizarre », expliqua-t-il.
Mais sa proximité avec eux et la façon dont il a réussi à comprendre les difficultés de ses voisins indigènes firent de lui un « spécialiste », invité par la Funai de Ji-Paraná à intégrer une expédition en 1988 : l’ Équipe de localisation des indigènes isolés de la réserve naturelle de Guaporé. Dès lors, il ne s’arrêta jamais et Rieli devint l’une des plus grandes références du mouvement indigéniste au Brésil.
Les répercussions de sa mort
Rieli Franciscato lors de la 2ème Rencontre Ethno-environnementale du Front de Protection Uru-Eu-Wau-Wau.
( Photo : Mário Vilela / Funai / 2014 )
Le sertaniste et retraité Armando Soares regrette la mort de son ami et, comme Sydney Possuelo, attribue la raison de cette mort tragique aux mauvaises conditions de travail. « Rieli était un homme expérimenté, avec beaucoup de connaissances, mais il n’avait aucun moyen pour faire son travail. Il a fonçé tête baissée. Et voilà ce qui se passe quand on doit improviser. Car la Funai ne l’aidait plus depuis longtemps. Il faisait tout tout seul », a-t-il critiqué.
Soares, qui coordinait les Fronts ethno-environnementaux de la Funai avant de prendre sa retraite, affirme que Rieli aurait dû avoir des assistants et des équipements pour pouvoir étudier avec beaucoup de précautions l’approche des Isolés du Cautario. « Je suis très triste pour lui. C’était l’un des meilleurs. Mais je suis triste également pour les indigènes Uru-Eu-Wau-Wau et pour les Amondawa qui ont perdu un grand partenaire », résuma-t-il.
Pendant de nombreuses années, Rieli a également travaillé au Front de protection Ethno-environnementale de la Vallée du Javari, en Amazonie, aux côtés des Korubo, un autre groupe d’indigènes isolés en situation de vulnérabilité. « Rieli était un indigéniste ayant énormément d’expérience avec les peuples autonomes. C’est quand j’ai commencé à faire des recherches sur les liens entre les Matins et les Korubo, dans la Vallée du Javari en 2006, que je l’ai rencontré. C’était quelqu’un de très réservé, mais il s’est montré généreux et m’a enseigné beaucoup de choses sur le travail de protection et d’attention qu’il avait développé avec les Korubo », affirme l’anthropologue Barbara Arisi.
Barbara se souvient que les Matins les plus anciens comme Txema et Tumi Branco respectaient Rieli. « Ils trouvaient que c’était un homme juste qui n’exploitait pas les Indigènes et qui les respectait. Il était de ce genre d’indigénistes qui ont appris auprès des indigènes à être des artisans, à admirer et à valoriser le mode de vie indigène », raconte-t-elle.
Le coordinateur de la Funai à Ji-Paraná, Claudionor Serafim, confirmant la mort de Rieli Franciscato, dit qu’il « a été atteint d’une flèche au cœur » et qu’il a été secouru à l’hôpital de Seringueiras, mais qu’il n’a pas survécu.
« Il [Rieli] a reçu l’information que les indigènes étaient apparus, qu’ils étaient cinq. Il s’est déplacé avec deux policiers de São Miguel pour vérifier. Il a même réussi à entrer un peu dans la forêt. Puis les indigènes ont commencé à lancer des flèches. Il est décédé en fin d’après-midi. Il a eu du mal à arriver à Seringueiras. L’ambulance est allée le chercher. C’est une situation très compliquée pour nous, qui sommes engagés avec la Funai. Cela fait 33 ans que je fais partie de la Funai. C’est une situation qu’on ne voulait pas devoir vivre », ajouta Serafim, dans un message audio via WhatsApp.
Ex-gérant du Parc National de Pacaás Novo, João Alberto Ribeiro s’est lamenté également de la mort de Rieli et a même remis en question le fait que l’attaque soit provenue des indigènes isolés.
« Il s’agit d’une terrible perte pour l’indigénisme brésilien, pour l’environnement au Rondônia. Avec son courage et sa détermination, avec le soutien de ses collègues, il dissuadait les invasions de la Uru-Eu-Wau-Wau facilitées par la nationale BR-429, défendant la Terre Indigène du Rondônia et les indigènes de la Uru-Eu, y compris les bourreaux, qui malheureusement ne pouvaient pas savoir qui était ami ou ennemi, encore qu’il s’agisse d’un indigène », reprend João Alberto Ribeiro.
La Funai a divulgué une note de condoléance sur son site jeudi et précise qu’elle « suit le cas ». « Rieli a consacré sa vie à la cause indigène. Avec plus de trois décennies de service dans le domaine, il laisse un immense héritage pour la politique de protection de ces peuples », a affirmé le Coordinateur général des Indigènes Isolés et de Contact Récent de la Funai, Ricardo Lopes Dias.
L’organisme n’a pas dit s’il allait réaliser une enquête sur la mort de Rieli Franciscato ni quelles mesures allaient être prises pour protéger les indigènes isolés du Cautario, puisque leur territoire est menacé par les envahisseurs*.
Rieli Franciscato (Photo : Reproduction Facebook)
* Le terme envahisseurs fait référence aux bûcherons et/ chercheurs d’or illégaux.
(Reportage d’ Elaíze Farias, Kátia Brasil, Maria Fernanda Ribeiro, Eduardo Nunomura et Marizilda Cruppe).
Article actualisé le 09.09.20 et le 10.09.2020 pour ajouter la note de la Funai.
Traduit par Rachel Ricaud pour Planète Amazone.